MANUELE FIOR

Les variations d’Orsay

Exposition du 17 septembre au 7 novembre 2015

 

Après Hugues Micol, ses cow-boys et ses dieux hindous flamboyants, la Galerie Martel accueille un puriste de la bande dessinée : Manuele Fior. Italien installé à Paris, il s’est fait remarquer par son 5 000 kilomètres par seconde – Fauve d’Or en 2011 à Angoulème – puis par L’entrevue, récit noir et blanc intimiste et décalé. Il revient avec Les variations d’Orsay, fantasmagorie rigoureuse ayant pour épicentre la révolution impressionniste. La Galerie Martel est fière de présenter les originaux de cet artiste rare, amoureux de la lenteur et de la solitude de son travail.

« J’avance comme ça. » Pas de storyboard. Aucun synopsis. Quand Manuele Fior s’embarque pour un récit au long cours – la traversée, de reprises en repentirs et en corrections successives, pourra durer trois ans – il ignore où l’aventure le mènera. Les personnages ? Comme des comédiens s’ajustant au fil des répétitions, des croquis préparatoires leur feront trouver leur « voix ». Pour Fior, le récit est inscrit dans le dessin et le dessin, inscrit dans la composition. Contrairement à l’essentiel de ses confrères, il travaille peu à partir de photos.

 

1 – Variazione nr. 1 (Un regret), 2015
56 x 77 cm

2 & 3 – Les Variations d’Orsay, 2014 – 2015
28 x 38 cm

gouache sur papier

 

Dessinée de mémoire, la gare du Caire de 5 000 kilomètres par seconde prend la vérité magique d’un décor naturel – mais il fait exception pour la maison signée Frank Lloyd Wright dans laquelle évoluent les personnages de L’entrevue : Fior, lui-même architecte, en a utilisé les plans pour que la circulation y soit juste. Enfin, à propos des Variations d’Orsay, il parle avec enthousiasme de ces plaques photographiques en couleur du Paris 1900, récemment retrouvées, sur lesquelles il a pu appuyer son imagination. L’intrigue des Variations d’Orsay – deuxième album coédité par Futuropolis et le musée d’Orsay – conjugue trois temps. Au centre, l’aventure impressionniste, Pissaro, Renoir, Monet, Berthe Morisot et avant tout Edgar Degas.

De la rencontre fondatrice avec Ingres au tumulte de l’exposition de 1874, de la Petite danseuse de 14 ans à la cécité de sa vieillesse, toutes les anecdotes mises en scène par Fior à propos de Degas, et de ses pairs, sont exactes. Pour autant, l’album échappe à la lourdeur didactique. Car le noyau de l’intrigue est pris entre les parenthèses d’une autre époque, celle de l’Exposition universelle de 1900 et de la construction de la gare d’Orsay. Un troisième temps, contemporain, montre la gare devenue musée. « En effet, pour qui aime la peinture et l’architecture, choisir était quasi impossible », sourit Fior, qui s’amuse à ajouter d’autres références. S’il peint la bouche de métro art nouveau d’Hector Guimard, c’est aussi pour sa similitude avec les décors de Winsor McCay, dont le Little Nemo marque le début de la bande dessinée.

S’il se représente en 2015, rêvant au musée devant le Semiramis construisant Babylone de Degas, cette cameo appearance renvoie à une autre Babylone, le Paris de 1900. Rien d’artificiel dans ce jeu : les dialogues, chevauchant les changements d’époque, deviennent une seconde anachroniques, et donnent son liant au récit. L’autre articulation majeure est un personnage, à la fois gardienne du musée, narratrice et figure centrale du tableau du Douanier Rousseau, La charmeuse de serpent. C’est une fois la lecture achevée que l’œuvre trouve son unité – un peu à la manière de L’année dernière à Marienbad de Resnais ou de L’éclipse d’Antonioni. Au point, même, de se demander en refermant l’album si l’on n’a pas rêvé l’histoire. Familier de l’aquarelle, du fusain et de l’huile – il a employé cette technique pour de remarquables illustrations de poèmes publiées dans La Repubblica, que la Galerie Martel expose également – Fior a utilisé la gouache pour réaliser Les variations d’Orsay : simple et sobre, elle permet de modifier, de revenir, d’améliorer.

Car pour lui – comme d’ailleurs pour Degas – une œuvre n’est jamais achevée. Ce qu’il a gagné avec cet album ? Une rigueur, et peutêtre le sens du récit : « Depuis 20 ans, la bande dessinée se fonde sur le sujet, l’engagement, l’autobiographie. Il faut comprendre qu’hypnotiser le lecteur est un art en soi. C’est important de lui dire, ‘assieds-toi et écoute cette histoire’. Il y a des leçons à prendre dans Les mille et une nuits. »

François LANDON