BRECHT EVENS

Panthère

Exposition du 28 novembre 2014 au 31 janvier 2015

 

Après Dave McKean, la Galerie Martel accueille pour la deuxième fois Brecht Evens, ses brillants romans graphiques et sa maîtrise unique des techniques de la couleur. Avec Panthère (Actes Sud BD), dialogue d’une petite fille et d’un félin sorti de ses rêves, le jeune artiste flamand boucle le récit le plus adulte de sa carrière – et l’un des plus aboutis de la production contemporaine. La Galerie Martel est fière d’en présenter les originaux.

Imaginons. Vous vous appelez Christine. Vous avez six ans. Votre mère a mis les voiles, ou s’est suicidée. Patchouli, votre chat, vient d’être piqué par le véto. Votre père – calvitie, T-shirt, caleçon – vous aime comme il le peut. Alors, du fond de ce désastre, le tiroir de votre commode laisse surgir celui que vous attendiez : Octave Abracadolphus Pantherius. Un nom à la Le Clézio pour un éblouissant prince-panthère, idole du royaume de Panthésia, nœud-pap et fume-cigarette, charmant, charmeur, trésor d’histoires et mine de jeux, virtuose du tango et roi de la polka. Un compagnon secret, doux comme un petit chat et fort comme un papa. Pour le meilleur ou pour le pire.

 

1 & 3 – Panthère, 2012 – 2014
39 x 32 cm

2 – Vingt ans plus tard, 2014
110 x 150 cm

aquarelle, encre et gouache sur papier

 

Panthère exprime en plein l’extraordinaire richesse graphique déjà manifestée par Brecht Evens dans Les Amateurs (2011) et Les Noceurs (2009), son travail de fin d’études à Saint-Luc, la grande école d’art de Gand. Là, sous la gouverne de l’illustratrice réputée Goele Dewanckel, le jeune homme avait abandonné le classique trait noir cernant les à-plats et les cases, au profit de la pure aquarelle, lettrage compris. Avec la même virtuosité, Panthère fait valser les tons, les perspectives, les emprunts subtils aux grands maîtres du graphisme. Les pleines pages somptueuses, détaillées comme des tapisseries, alternent avec des suites plus sobres où dialoguent la fillette et son beau félin, cette panthère dont la morphologie, les couleurs, l’expression se renouvellent d’image en image, comme il sied à un rêve.

Un rêve. Bien sûr, Panthère est une fantasmagorie, à la façon du Little Nemo de Winsor McCay ou du Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki : l’enfant formant le pivot de l’histoire détermine inconsciemment le récit dans lequel il évolue, surprises, étrangetés et péripéties comprises. Pour un œil candide, le roman graphique de Brecht Evens conservera jusqu’à la dernière page cette dimension charmante et inoffensive. Mais un regard plus aguerri pourra lui faire prendre une autre voie, moite et trouble. Alors, le prince-panthère ne sera plus le frère du Hobbes de Bill Watterson, ni le cousin du Pinky croqué par Friz Freleng. Dans son tourbillon de couleurs, le fauve onirique endossera en catimini le masque d’un séducteur ambigu, d’un prédateur attentif à prodiguer des massages à sa victime consentante, à lui lècher les reins, à l’étreindre lors d’une partie de Twister, à flairer comme par jeu son odeur de petite fille…

Le paradoxe ? L’élégant animal qui, remarque avec émotion Christine, « a sur le torse des poils si fins », ne lâchera pas la bride à ses pulsions. Il ne passera jamais à l’acte. Rêve ou cauchemar oblige, il laissera ce soin à des créatures archaïques qu’il aura lui-même convoquées, comme un médium convoque des esprits. Un singe sans tête, un poulet plumé au cou perforé, une poubelle vivante, une girafe primitive, le zombie malfaisant d’un chien en peluche – tous aussi dépourvus d’interdits que des incarnations du Ça freudien. Face à ces monstres, la panthère aura beau jeu de poser au sauveur – et peut-être est-elle vraiment le sauveur ?

La séduction sous toutes ses espèces est l’un des axes du travail de Brecht Evens. Dans Les Noceurs, il mettait en scène le personnage de Robbie et sa cohorte d’admirateurs. Dans Les Amateurs, le miteux et verdâtre Pieterjan enjôlait Cléo, la petite étudiante provinciale. Avec Panthère, ce thème trouve une dimension inédite. Du rouge et bleu marquant l’univers réel de Christine à la splendeur des séquences fantastiques, de la psychanalyse à la symbolique, des réminiscences aux souvenirs, de la lecture rose à la lecture noire, c’est une infinité de chemins qui se développe entre les gardes de ce roman. Au lecteur de choisir le sien.

François Landon