JOSÉ MUÑOZ

LE PREMIER HOMME

Exposition du 6 décembre 2013 au 4 janvier 2014

Après Ludovic Debeurme et ses métamorphoses aux couleurs rêveuses, c’est au noir et blanc de José Muñoz que la Galerie Martel offre ses murs, du 6 décembre 2013 au 4 janvier 2014 : après avoir accompagné L’étranger de Camus, le talent solaire et sensible de Muñoz épouse les pages du Premier homme, le roman testamentaire de l’écrivain. Ce sont ces encres puissantes que la Galerie Martel est fière de vous présenter.

Le 4 janvier 1960, dans cette serviette épargnée par le crash fatal à son propriétaire, des papiers, des photos, le Gai savoir de Nietzche, une petite édition d’Othello, un journal intime et un manuscrit inachevé mais déjà titré : Le premier homme. Comme une bouteille à la mer, l’ultime livre d’Albert Camus – autobiographie  romanesque et quête de l’origine – attendra trente-quatre ans avant d’être publié. Aujourd’hui, ses pages renaissent dans l’ombre et la lumière de José Muñoz, amoureux de Camus et « lecteur capable de dessiner ».

 

Le premier homme, 2013

1 – 42 x 30 cm

2 & 3 – 30 x 42 cm

encre de chine, pinceau

 

Un même écrivain – Camus -, un même point focal – l’Algérie -, une même maison d’édition… D’un ouvrage à l’autre, comment Muñoz a-t-il différencié son travail ? Par un ajustement de la lumière.  Dans les encres de ce second opus, le soleil cru du sud voit sa puissance cassée par la végétation. Il se diffracte sur les carrelages et la géométrie des mosaïques. Il s’estompe sur les vêtements et l’architecture : « La lumière brutale de L’étranger, celle qui aveugle Meursault sur la plage, face à l’Arabe, je l’ai découverte durant mon enfance argentine », dit Muñoz. « Pour Le premier homme, le dessin devait fragmenter ce feu : Jacques Cormery, l’avatar de Camus, et les autres personnages qui évoluent dans ces pages sont des ombres vivantes. Ils se promènent dans leur propre vie, dans l’Histoire et sa bestialité. »

Ainsi c’est le feuillage, à la fois réel et symbolique, qui permet d’interprêter sans l’édulcorer la violence de la guerre : la sentinelle égorgée et émasculée découverte par le père de Jacques est réduite à deux yeux aussi fous que ceux du Saturne dévorant ses enfants de Goya – mais ce regard terrible est pris dans un enchevètrement de traits noirs comme des lianes, qui disent tout. « D’un roman à l’autre », précise Muñoz, « le regard introspectif de Camus demeure bien le même. Aussi, mon style n’a pas eu à varier beaucoup. »

Dans ces cent quarante-quatre feuillets manuscrits réchappés de l’épave d’une Facel Vega le 4 janvier 1960,  « on sent les emballements d’un premier jet », comme le note Jean Rouaud. Mais c’est à l’âme du texte que Muñoz fait miroir. Certes, il a fallu à l’artiste le temps d’une retraite solitaire en Espagne pour faire coïncider le personnage central, l’auteur, et ses propres images mentales  : « Au début, Jacques Cormery se promenait devant moi, mais mon dessin n’était pas vivant. J’ai peiné pour me rendre digne de cette promenade intérieure. » La fraîcheur de l’enfance de Cormery-Camus est rendue dans des pages claires : images des écoliers veillés par leur l’instituteur, ou des appartements nocturnes traversés pieds nus, ou des rixes de cours de récréation.

Des ténèbres à la légèreté, ce sont deux cents dessins aboutis qu’a ainsi réalisés José Muñoz pour illustrer le livre : sur ceux-ci, cent huit seulement sont publiés. Exigence rare. Et si, pour L’étranger, l’artiste avait privilégié le format A4 – celui de la page d’écriture – il a ici dilaté son espace, travaillant beaucoup en A3, voire en 50 x 70. « Quand une forte émotion naissait d’un passage du roman », dit-il, « je faisais l’impasse sur le crayonné. Je dessinai directement à l’encre. » Depuis Alack Sinner jusqu’à Meursault et Cormery en passant par Gardel, c’est bien le même Muñoz qui s’acharne à « faire danser les taches et leurs soupçons figuratifs » en domptant comme toujours des flots d’encre. Mais ce qui fait la réussite de ce dernier ouvrage, c’est peut-être simplement la commune dynamique de création d’un écrivain et d’un artiste réunis à un demi-siècle de distance : deux auteurs à la poursuite inlassable de l’épicentre de leur œuvre. La dernière encre du Premier homme est un portrait d’Albert Camus. Un visage. Car, conclut José Muñoz,
« chaque visage est une incitation à dessiner le suivant. »

François Landon