BRECHT VANDEBROUCKE

White Cube

Exposition du 20 mars au 10 mai 2014

 

 

Après avoir prêté ses murs aux noirs et blancs profonds de Stefano Ricci, la Galerie Martel reprend des couleurs : du 20 mars au 10 mai 2014, elle accueille Brecht Vandenbroucke, sa jeunesse culottée, ses acryliques éclatants, sa feinte naïveté et son grand rire flamand. Avec White Cube, un album rare et drôle bourré de références, Vandenbroucke explose en beauté l’art, la critique, leurs conventions et leurs idées reçues… Une vendetta désopilante, stylée, sans bulles ni paroles.

Barbouiller Guernica à la raclette à vitre. Transformer une trame rouge de Roy Lichtenstein en éruption de scarlatine, le pointillisme magique de Seurat en minable pixellisation. Scier une maison en deux, pour faire du Gordon Matta-Clark sans le savoir. Métamorphoser la chaise de Gerrit Rietveld en fauteuil roulant. Défigurer par un « like » de Facebook les Trois femmes à la table rouge de Fernand Léger. Le tout, dans une jungle du douanier Rousseau, à l’ombre d’un gay à reins cambrés de Tom of Finland, d’un nu de Manet, de Beavis and Butt-head, d’une parodie de la Danse de Matisse… Entre le Quattrocento, le Pop et l’Underground, il y a dans l’univers de Brecht Vandenbroucke assez de citations, d’allusions ou de références culturelles pour renvoyer la pochette de Sgt. Pepper’s au rang de copie blanche.

Le panthéon fourmillant de l’auteur gravite ici autour du White Cube, le musée/galerie d’art imaginaire qui donne son titre à cet album hilarant, séquencé en courts récits muets. Sorti d’abord chez Bries, à Anvers, White Cube sera publié en France par Actes Sud BD. Pour le public nord-américain, il doit paraître en mars 2014 à Montréal, chez Drawn & Quarterly. Les héros de White Cube sont deux nigauds férus d’esthétique, deux clowns jumeaux à gros pif et crâne rose que leur amour très personnel du Beau amène à déclencher les Tchernobyl artistiques évoqués plus haut.

Au fil de ces cases régulières et muettes, peintes à l’acrylique et interrompues par de magnifiques pleines pages, les stratégies rêveuses et les gags terroristes s’enchaînent. Sous le style, situé quelque part « entre Mickey Mouse et le Bauhaus », comme dit en souriant l’auteur, on pense à Jarry, Duchamp, Magritte – ou même, pas si bizarrement que ça, à Arno : comme le chanteur ostendais, Brecht Vandenbroucke est un flamand pur jus, un syncrétique sans a priori capable de planquer une acuité de rayon laser sous une tarte à la crème. En toute poésie.

 

White Cube, 2012

acrylique sur papier

 

Il est né à Furnes (Veurne), Flandre-occidentale, en 1986. À la prestigieuse école d’arts plastiques Saint-Luc (SintLucas) de Gand (Ghent), il a pour professeurs Ever Meulen et Goele Dewanckel – illustratrice reconnue, elle a favorisé l’essor d’un autre jeune virtuose flamand, Brecht Evens, exposé en 2011 à la Galerie Martel. En 2008, la classe de Brecht Vandenbroucke expose ses travaux à Fumetto, le grand rendez-vous artistique de la bande dessinée tenu chaque année à Lucerne. En 2009, il y décrochera un deuxième prix. En 2011, il y aura droit à son exposition en solo. En 2013, il figure à Angoulème dans le cadre de La boîte à Gand, qui réunissait les cinq plus solides espoirs de la nouvelle bande dessinée flamande. Extraordinairement productif – ses illustrations paraissent entre autres dans le New York Times, Les Inrockuptibles, De Morgen – il gratte des affiches, des pochettes de vinyles, des T-shirts, tourne des vidéos, sculpte, monte des installations, et mitraille ses œuvres sans ambage sur Tumblr, Flickr, Facebook.

Le tout, en harmonie parfaite avec les bandes dessinées qu’il produit. Initialement destiné à une parution presse, White Cube a connu une première version noir et blanc. Vandenbroucke était déjà parti sur un autre projet lorsqu’il a décidé de reprendre la chose, et de lui donner ses couleurs, sa richesse et sa carrure actuelles. Pourquoi ? Ce n’est pas avec l’art que l’artiste a des comptes à régler. Ses amours sont trop amples pour cela. Et il est trop conscient et trop épris de son travail – de sa « main particulière », comme il dit – pour vouloir régler le moindre compte. Ce qui le chatouille, c’est la bêtise du regard tranché : « Dans l’art, apparemment, tout le monde a ces jours-ci des opinions sur tout », déclare-t-il. « Je voulais contrer cette tendance. » Vandenbroucke dit aussi qu’après les questions cruciales de la vie, le rire est son premier moteur – on le croit sur parole. Il s’intéresse à la culture populaire, au bonheur, à la folie, au surréalisme, à la solitude, à la mort et à l’aliénation.

Pas étonnant que les jumeaux naïfs et passionnés de White Cube, assez sûrs de leur goût pour mettre de bon droit musées et galeries à feu et à sang, s’attachent à ridiculiser avec le même talent une vision dominante de la mode, de la musique, du design. Prisonniers de leur désopilant trip esthétique, ils sont frères des Bouvard et Pécuchet de Flaubert, autres bénêts partis cent cinquante ans plus tôt à la conquête de la Connaissance encyclopédique avec les mêmes désastreuses et cocasses conséquences.

François Landon