Fred
Du 20 novembre 2015 au 20 janvier 2016
A propos
Un innocent sans naïveté. Un rêveur aux pieds nus, de la famille du Grand Duduche, du mime Marceau, du Petit Prince. Deux fentes noires en guise d’yeux, et une vision du monde en opposition avec celle de son géniteur, Hector, mais en harmonie avec celle de son père, Fred. À l’occasion de la parution de l’ouvrage Fred autour de Philémon (Dargaud), la Galerie Martel est heureuse de revisiter avec vous l’univers sans égal de Philémon qui fête son 50e anniversaire.« Un garçon de quinze ou seize ans… Il ne s’intéresse pas encore aux filles, mais ça va venir ! » C’est ainsi que Fred définit Philémon. Simplement. Dans ce portrait-là, pas question de centaure chauve et grognon, de main géante vivant sa vie, de lampe de chevet transformée en fanal naufrageur : pour l’auteur, un tel bestiaire tombe sous le sens – plus, en tout cas, que la libido tardive de son héros à marinière. Au fait, quand Philémon est-il né ? À cette question, Fred évoque vite Éric, son fils. Il l’aurait pris pour modèle. Mais à dix ans, au retour de l’école, le garçon reprocha à son père : « Des îles en forme de lettre ! Ça n’existe pas, les histoires que tu fais. » Fred l’exhorta à la patience : un jour, il verrait que ces histoires-là existaient bel et bien.
À moins que Philémon soit né en 1965, dans ce bureau de Pilote où René Goscinny lut Le Mystère de la clairière des trois hiboux, première aventure du héros que Spirou venait de refuser, et voulut illico la publier ? À l’époque, Fred désirait s’écarter de Hara-Kiri (qu’il avait fondé en 1960 avec Georges Bernier, alias le Professeur Choron, et François Cavanna) : la BD lui permettrait d’écrire, d’inventer des mondes, ce que n’offrait pas le dessin de presse. À moins, encore, que la vraie naissance de Philémon se confonde avec la première enfance de Fred. Celui-ci, Othon Aristidès pour l’état-civil, est le fils d’émigrés grecs chassés par les violences turques, et échoués rue de la Paix, à Paris. Au 7 de la même rue se tiennent les bureaux de l’agence de presse Opera Mundi, désertés pour cause d’occupation. En cette année 1941, Fred a dix ans. Avec un copain, il s’introduit dans les locaux de l’agence… et tombe sur un trésor, un stock de comics abandonnés, de Mandrake à Mickey Mouse. Fasciné, il commence à dessiner en copiste, puis se libère de ses modèles et fait apparaître le prototype de Philémon, avec son puits débouchant sur un océan… Mais au fond, la date de naissance du héros importe peu. Le temps et ses horloges n’ont jamais fait frémir ni l’auteur, ni ses personnages. Ceux-ci sont toujours venus le visiter en rêve, pour lui conter la suite de leurs aventures. Et lui-même a pris soin de garder fermée la fenêtre éclairant sa table à dessin pour éviter que ses idées s’envolent… Ce qui compte, c’est le poids que pèse Philémon dans l’œuvre de Fred. Celui-ci peut revendiquer un unique album, Le Petit cirque, où se joue une Strada surréaliste. Le lecteur peut soupeser les charmes de Cythère, l’apprentie sorcière, du Magic Palace Hotel, de Timoléon et de la montagne de scénarii que Goscinny arracha à l’artiste. Le lecteur peut même invoquer L’Histoire du corbac aux baskets – le plus sombre et le plus autobiographique de ses contes – où Philémon fait une cameo appearance, sous forme de pantin abandonné. Il n’en reste pas moins que « Philémon représente la quintessence de l’œuvre de Fred », déclare François Le Bescond, de longue date éditeur et ami de l’artiste. Fred pourrait-il s’écrier, comme Flaubert à propos de sa Bovary, « Philémon, c’est moi » ? Pour François Le Bescond, le kaléïdoscope est plus subtil : « Hector, le père de Philémon qui ne jure que par la réalité, incarne à la fois le père de Fred et un aspect de Fred lui-même – très capable de se montrer râleur et bougon si on le dérangeait sur son nuage. Le centaure Vendredi partage ce trait, qu’exprime aussi le fameux Hum ! commun à nombre de personnages. »
En un demi-siècle, Philémon n’a guère bougé. Ses yeux, à l’origine deux points à la Tintin (Hergé fut d’ailleurs le premier à adresser à Fred une lettre de félicitation lors de la parution de la bande) sont vite devenus les légendaires traits noirs. Tout au plus sa silhouette est-elle un peu moins ronde. Dans cet univers que Fred a voulu intemporel, Philémon grandira-t-il davantage ? Sa dernière aventure l’a mené au secours d’une locomotive embourbée, tractant Le Train où vont les choses – titre de l’album. Privée de la vapeur d’imagination qui la meut, la loco stagne et le monde avec elle… Il est heureux que Fred ait su relancer sa fragile mécanique pour ramener Philémon à l’orée de son océan aux merveilles, près de ce puits où depuis 50 ans guettent en sentinelles deux corbeaux imprévisibles. François Landon
Photo
© Isabelle Lemercier
Œuvres exposées
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