GABRIELLA GIANDELLI

Australie

Exposition du 03 juin au 30 juillet 2022
Vernissage en présence de l’artiste le jeudi 2 juin à partir de 18h30
Séance de dédicace le samedi 4 juin de 15h à 19h 

 

Australia… Autrement qu’en français, le nom de cette île-continent sonne comme un pluriel latin. Ce n’est pas un hasard. L’artiste milanaise Gabriella Giandelli l’a bien compris : il y a autant de visages de l’Australie qu’il y a de regards posés sur elle. Autant de visions qu’il y a de sujets dignes d’être saisis à coups de crayons et de pastels. De la falaise rouge d’Uluru à l’opéra de Sydney, des buildings hétéroclites de Melbourne aux crocodiles salty mangeurs d’homme, Gabriella Giandelli a capturé l’âme australienne pour mieux la parer de ses couleurs uniques. Ce travail précis et riche a fait l’objet d’un Travel Book publié l’an dernier par Louis Vuitton. À partir du 3 juin, la Galerie Martel sera heureuse d’en présenter une précieuse sélection d’originaux.

Avant leur sédentarisation, les Aborigènes australiens circulaient sur leurs territoires au rythme des saisons. Ils suivaient scrupuleusement les routes de leurs Rêves, des itinéraires magiques qu’avaient tracés leurs ancêtres mythiques, sculptant les paysages ou creusant les cours d’eau : les Rêves du Crocodile, de l’Éclair, du Kangourou, du Cyclone, formaient tout un réseau à la surface du continent. À son tour, une promenade rêveuse a mené Gabriella au fil de ce labyrinthe.

Embarquons avec elle.

D’abord pour le Northern Territory, ponctué de hameaux et de stations aborigènes. Si sa capitale se nomme Darwin, cela n’a rien d’un hasard : ici, en 1834, fit escale le vaisseau du fameux naturaliste. À deux siècles de distance, c’est en naturaliste que Gabriella saisit ses sujets, wallabies hésitant près d’un Cessna posé sur une langue de sable cernée de termitières, guêpier arc-en-ciel au plumage de pierreries, peintures rupestres millénaires tracées par les premiers Australiens…

Sur place, elle photographie, scrute, note, se gorge de ce monde inédit pour elle. Plus tard, dans son atelier milanais, elle parera ce noyau documentaire de la magie de ses couleurs – celles de son propre Rêve. Pas de fiction ni de fausseté dans la démarche. D’une certaine manière, tout son trajet d’artiste semble avoir été l’antichambre de ce voyage graphique. 

Gabriella Giandelli est née en 1963 à Milan, où elle vit et travaille. Après des études à l’Institut d’Art et à l’École de bande dessinée de la ville, suivies d’un cursus à son Académie du Cinéma, sa série d’animation Milo lui vaut une large reconnaissance. À partir de 1984, elle commence à publier des BD dans l’Écho des Savanes, Dolce Vita, Frigidaire. Initialement influencée par Lorenzo Mattotti, Gabriella adopte un style narratif et graphique à la fois âpre et sombre. 

Punk ? Post-punk ? Elle ne tarde pas à rompre avec ce cadre. Son trait s’adoucit, la couleur y fait son entrée. Une manière qui contraste heureusement avec la tonalité mélancolique, voire onirique de ses récits. Elle se lance avec succès dans une carrière d’illustratrice. 

En 1994, son roman graphique Silent Blanket l’impose définitivement à l’échelon international. Ses travaux plus récents – Intérieur et Lontano, respectivement 2015 et 2019 – mettent en valeur ses visions de prédilection, qu’elle appliquera si parfaitement à son Australia. Ainsi, l’effacement des êtres humains. Les pages d’Australia réduisent leur nombre au profit de frappantes représentations animales, végétales, minérales. Ici, derrière le talent descriptif de la naturaliste vibre la vision poétique de l’artiste. Comme le grand lapin blanc d’Intérieur est d’abord un esprit, les animaux, les plantes et les roches australiens retrouvent ici leur valeur de grands ancêtres mythiques, d’acteurs du Rêve aborigène.

Les mégapoles du sud-est, l’autre visage – civilisé – de l’île-continent ? Pour mieux faire apparaître leur beauté, Gabriella Giandelli les dépeint à peu près aussi vides que Stanley Kramer dépeignit Melbourne dans son film Le dernier rivage, le poignant post-atomique qu’il réalisa en pleine guerre froide. Sous les crayons de Gabriella, murs peints et pubs de bus anthropomorphes prennent autant de présence que les « vrais » humains. Mais ces visions-là sont aux antipodes des artist views d’architectes ou de promoteurs immobiliers. Sous la patte magique de l’artiste, parois de verre et d’acier ou encorbellements victoriens y manifestent autant de vie que tout l’univers encore sauvage de l’outback, là où l’écrasante majorité des Australiens blancs n’a jamais mis et ne mettra jamais les pieds. Il faut sans doute venir de Milan et s’appeler Gabriella Giandelli pour oser pousser ces deux portes-la. 

François Landon