GIACOMO NANNI

Tout est vrai

Exposition du 9 avril au 22 mai 2021

 

Tout est vrai, le roman en images de Giacomo Nanni publié ces jours par Ici Même, est un tour de force artistique et narratif. Fluide, palpitant, séduisant, ce récit à plusieurs voix promène son lecteur depuis le studio hollywoodien où Alfred Hitchcock tourne Les oiseaux en 1962 jusqu’au parc des Buttes-Chaumont – là où, sous l’œil aigu d’une noire corneille, des djihadistes préparent les attentats de janvier 2015. Familier des défis, Nanni a choisi ici une technique graphique sans équivalent : couleur primaire par couleur primaire, il trace à la main des trames sur des transparents qu’il superpose. Cette quadrichromie patiente d’enlumineur s’inspire autant de la gravure sur bois des anciennes estampes japonaises que de Photoshop, l’un des outils majeurs de l’artiste.

À partir du 9 avril, la Galerie Martel sera heureuse de vous présenter les originaux exceptionnels de Tout est vrai. En janvier 2020 à Angoulême, Acte de Dieu vaut à Giacomo Nanni le prix de l’Audace, saluant son travail hors-norme et hors-pair. Outre aux humains, la narration d’Acte de Dieu est confiée aux animaux et aux choses – chevreuil, crustacé d’eau douce, carabine, lunette de tir, montagne, séisme. Le graphisme ? Il est en phase et à la hauteur. L’essentiel de chaque planche – si planche il y a, puisque le livre est réalisé sur ordinateur – se compose de trames Photoshop.

Peinture acrylique et encre de chine sur feuille de rhodoïd

29,7 x 21 cm

 

Des couches superposées qui permettent à Nanni d’ajuster ses nuances et sa lumière en jouant sur les couleurs primaires, et de régler ses effets de matière. « Acte de Dieu était l’œuvre la plus aboutie que Giacomo ait réalisée», note Bérengère Orieux, son éditrice française. Elle tient la barre d’Ici Même et suit le travail de l’artiste depuis deux décennies. « Avec Tout est vrai, son dernier opus, il hausse la barre d’un cran en conservant toute sa radicalité. » En effet. Si les axes artistiques et narratifs qui font la réussite d’Acte de Dieu y restent en place, la réalisation de Tout est vrai quitte le virtuel pour le manuel. Support ? Des transparents A4 – du type destiné aux rétroprojecteurs – que l’artiste peint et superpose.

« Je fais migrer dans le concret une technique informatique que je connais bien », dit Nanni. Ici, le process commence par un crayonné précis du sujet. Ses parties noires sont reportées à l’encre ou au feutre sur un premier transparent. Et là vient la magie : Nanni couvre trois autres transparents d’encres rouge, jaune et bleue – les couleurs primaires de l’impression en quadrichromie. Sur ces à-plats colorés, à l’aide d’un stylet de bois, il ménage des vides et des hachures, comme sur une carte à gratter. La superposition précise des couches produira un effet de trames colorées d’une richesse et d’une étrangeté inégalées. « C’est une recherche très intuitive, exigeant d’avoir clairement en tête le résultat visé. Selon la lumière et l’atmosphère voulues, je privilégie l’une des trois couleurs primaires. Je me trompe ? Je recommence. »

Avant le premier crayonné, il y a une photo. Cliché de plateau, comme ce corbeau allumant la cigarette de Tippi Hedren sur le tournage des Oiseaux. Vues tirées de Google Maps, comme ces contre-plongées écrasantes des arbres et des immeubles des Buttes-Chaumont. Photos personnelles de documentation. Autant de fragments de réalité qui se retrouvent, transfigurés mais exacts, à chaque page de Tout est vrai. Regardez de très près l’une de ces images : vous vous perdrez dans l’abstraction. À distance de regard courant, elle reprendra sa qualité naturaliste. Pas étonnant que Chuck Close, le magicien de l’hyperréalisme américain, soit porté si haut par Nanni.

Autre clé de cette réussite, l’épure graphique. Elle force la dimension dramatique. Ainsi, tous les protagonistes humains – fillette, flics, joggers, djihadistes – sont figurés en silhouette noire: « Comme l’ombre chinoise ou le fort contre-jour, la silhouette est évidente. Immédiate. Une vraie synthèse du langage, qui concentre mieux le réel que toute autre représentation. » Le plumage noir des corneilles, vectrices de l’intrigue et quasi premiers rôles, obéit naturellement à cette loi. Le lettrage, typo ou quasi-manuscrit, suit des règles précises. Comme le choix du temps des verbes. Comme la segmentation du récit en parties. « Le lecteur n’a pas à être conscient de tout ça, dit Nanni. Mais ces éléments m’ont permis de structurer mon histoire. De réaliser un livre harmonieux. »

Nanni est un fou de documentation, un mordu des archives du Monde, un vieux routier de la recherche en ligne. Il capture dans le réel des éléments cliniques qui, intégrés au récit, perdront leur froideur pour catalyser une intense émotion. Défaillance électronique déclenchant l’incendie d’une voiture de métro. Principe d’un piège à corneilles. Mise à la torture – figurant en texte seul – d’un Algérien suspecté d’appartenir au FLN. Éthologie, sciences cognitives, voire législation des parcs et jardins : au delà des transparents colorés, Nanni a le talent du collage, visuel ou textuel. Il possède l’art de l’étincelle que font jaillir ces rencontres.

Pas plus que pour Chuck Close, l’admiration qu’il porte à Max Ernst ou à Raymond Queneau n’est fortuite. Plus fort, ce que dessine discrètement ce livre puissant et fascinant, c’est une conscience. Un humanisme exempt de sensiblerie, porté par une corneille planant au dessus des Buttes-Chaumont. Tout est vrai. Et tout est dit.

François Landon