Miles Hyman

Rome

Exposition du 22 mars au 11 mai 2019

Une palette chaude aux tons sensuels, marquée par le jaune et le rouge, est la signature de Miles Hyman. Mais les œuvres de cet artiste se cristallisent d’abord par un dessin au fusain. Il représente une création à part entière. Hyman y fixe sa composition, creuse ses détails, dose la profondeur de ses noirs ou l’éclat de ses blancs – et anticipe même les tonalités de la mise en couleur numérique qui suivra. Pour son livre Rome, paru dans la collection Louis Vuitton Travel Books, Hyman a réalisé des fusains d’une puissance et d’une limpidité de gravure. Ils épurent et révèlent au maximum les mille visages de la ville mythique.

La Galerie Martel est heureuse de présenter à partir du 22 mars une riche sélection de ces dessins. Ils seront accompagnés par une suite d’aquarelles grand format, traitées en couleurs directes. Faute d’espace, celles-ci n’avaient pu figurer dans l’ouvrage. Ces aquarelles forment donc le director’s cut romain de Miles Hyman – quand ses dessins au fusain d’avant la mise en couleur sont son Rome Unplugged. « Quand vous parcourez une ville, c’est elle qui dicte le chemin. Essayez de vous perdre et vous retomberez toujours sur les mêmes endroits. J’adore donner vie à une ville. Capter son esprit, sa musique, sa lumière », dit Miles Hyman. Mais Rome n’est pas la Vienne du Coup de Prague, ni la L.A. du Dahlia noir qu’il a si bien exprimées. La ville éternelle n’a rien d’homogène. Elle empile pêle-mêle les époques, les atmosphères, les styles, de l’antiquité classique au contemporain. Pire, ce fatras criard et splendide est devenu un lieu commun touristique. Les photos-souvenir ont usé ses ruines et ses terrasses de café.

 

1 – Partie d’échecs, Bar del Fico, Via della Pace
2018

pierre noire et encres de couleur sur papier
76 x 56 cm

2 – Rome, Santa Maria della Vittoria, Ecstasy of Saint Teresa 
2017-2018
Fusain sur papier
46,5 x 32 cm

3 – Rome, Villa Médicis
2018

pierre noire et encres de couleur sur papier
76 x 56 cm

 

Comment offrir un coup de neuf à cette carte postale ? Première intuition : les couleurs de la ville étaient celles de sa palette. L’artiste a alors effectué à Rome deux séjours de quinze jours, l’un au printemps, l’autre à l’automne, afin de capter une variété de lumières et d’ambiances. Il accumule les croquis, les photos, les notes écrites – et, très importantes, les notes de couleurs : « Je les saisis au pastel. Elles peuvent prendre la forme d’un dessin très libre, morceau de ciel, nuance, ombre, bout d’immeuble… » Pour échapper à la foule et travailler en tête-à-tête avec chaque sujet, il part en exploration dès cinq heures du matin, quartier par quartier, quand la ville est vide – d’où la présence, sur ses restitutions romaines, de ces ombres longues qu’il affectionne : « J’ai une affinité pour les éclairages baroques, quand l’aube illumine en oblique certains fragments de l’image. Ça donne une touche théâtrale. »

Ce jeu de lumière, Hyman le met à profit pour renouveler le regard sur les sites les plus épuisés de Rome, par exemple la fontaine de Trevi : « Il fallait la montrer, mais de façon inattendue. Alors, je l’ai noyée d’ombre. » Cadrages cinéma, angles de vue, contrastes forcés mais subtils dont il est maître, participent à ce renouvellement du regard sur les sites. Plus surprenant, les gens – autochtones ou visiteurs, personnages centraux ou figurants plantés dans le décor – jouent le même rôle. Comme ce bras de femme qui occulte l’espace central d’un panorama. Il désigne on ne sait quoi, en hors-champ. Ce qui nous reste à admirer ? L’harmonie perturbante de deux éléments qu’Hyman excelle à représenter, le corps féminin et le paysage urbain, l’un cachant et révélant l’autre.

Tout, sauf une carte postale. Ces mixes de chair et de pierre n’ont rien de collages : « Rome est une ville vivante. Je ne voulais pas la limiter à ses bâtiments. Et j’avais avant tout envie de rendre hommage à l’existence des romains. Ceux que je représente, je les ai observés sur place – ou bien imaginés, mais également sur place. De toute façon, ils m’étaient dictés par mon sujet, par Rome. Mais j’ai dû doser leur importance. Que celle-ci devienne trop grande et elle leur donne une identité qui prend le pas sur celle de la ville – ce que j’ai voulu éviter. L’idéal est que l’attention des personnages ne se porte pas sur ce qui constitue l’âme de l’image : amoureux les yeux dans les yeux, religieuse au téléphone, serveuse notant des commandes, père tenant sa fillette endormie, sont parfaits dans le rôle. Ce que font ces gens ne nous concerne pas… Nous n’avons plus qu’à découvrir ce qui les entoure. »

Si le visage solaire de la ville éclate dans ses fusains, Hyman ne s’y est pas limité. « Comme un manuscrit indéchiffrable, Rome recèle énormément de mystères et de symboles. J’en ai tiré beaucoup d’images ouvrant sur le rêve. » Ainsi, cette femme seule sous une voûte des catacombes. Cet ange au sourire accompagnant l’extase de sainte Thérèse d’Avila. Ce squelette émergeant d’une tombe papale, un sablier serré dans ses phalanges. Ces marionnettes et ce Pinocchio en souffrance dans la Clinique des poupées, ou ce grand perroquet prenant son vol, la nuit, devant le portail ogresque du palazzo Zuccari : « À Rome, du Corso au Vatican, j’avais remarqué le symbole du perroquet en peinture, en gravure, en sculpture et même sur l’épaule d’un type. Quand je suis passé au stade du dessin, son image a jailli instinctivement. Au fond, mon réalisme est un faux réalisme, dont je me sers pour accéder à l’imaginaire. Même très documentés, mes dessins ne sont pas des documents. Ils véhiculent sans cesse un ressenti. » La valeur du travail de Miles Hyman tient à cette conjonction. Et aussi, et toujours, des fusains aux livres et aux aquarelles, à la lumière.

François Landon