PABLO AULADELL

Exposition du 19 mai au 22 juillet 2017
Vernissage le jeudi 18 mai à partir de 18 h 30
Dédicace le vendredi 19 mai à partir de de 15 à 20h

À partir du 18 mai, la Galerie Martel présente les originaux de Pablo Auladell. Illustrateur, adaptateur, auteur de bandes dessinées dont il conçoit ou non les scénarios, ce jeune artiste espagnol a été l’un des jalons du dernier festival de BD de Bastia. Sous leur variété de genre et de manière, ses œuvres foisonnantes reflètent sa fascination pour la littérature et le dessin, la mélancolie et le fantastique.

Avec une trentaine d’ouvrages à son actif depuis 2001, Pablo Auladell est un auteur à la fois prolifique et polymorphe. Lorsqu’on le questionne sur la variété de sa production, il répond : « J’ai deux grandes dévotions, la littérature et les beaux-arts. Entre la BD et l’illustration, je ne sors jamais du monde du livre – mais la capacité de mixer ces deux médias me fait découvrir des effets inédits. J’aborde le même champ par diverses voies. »

Ainsi, passionné d’histoire sans être historien, Auladell s’est adjoint le grand scénariste Felipe Hernàndez Cava pour réaliser Je suis mon rêve, BD campée en Crimée durant la Seconde Guerre mondiale. « En fonction du récit, j’ajoute des éléments spécifiques à mon style de base », dit-il. Ses illustrations pour La légende du saint buveur de l’écrivain autrichien Joseph Roth lui ont permis de s’ouvrir à l’expressionnisme, filles dépoitraillées sur le canapé du bordel et clochards accrochés à leur bouteille. À chaque fois, sans démentir son style. Le premier ouvrage qui a fait remarquer Auladell dans son pays fut La tour blanche, qui décrocha en 2006 le Prix de la révélation au festival BD de Barcelone.

Un récit léger et élégant dont le fil narratif, traité en bichro, s’entrecoupe de séquences en couleur. Son thème ? Un adulte à la recherche de son propre temps perdu, sur la plage où il connut ses premiers frissons amoureux d’enfant. Venue d’ailleurs, une licorne à visage humain lui tient parfois compagnie. Elle lui demande, ironique : « Tu as lu Proust, récemment ? ». Même regard sur la fuite des jours avec La fête abandonnée, où Auladell illustre les courts textes de deux auteurs, et les siens propres. « Dans mon travail, il s’agit moins de nostalgie que de mélancolie, précise-t-il. La mélancolie, c’est la souffrance engendrée par le souvenir de moments n’ayant jamais existé. La mémoire est une fiction. »

« Pablo ne respire pas du tout la mélancolie, mais son inspiration le pousse de ce côté-là, modère Thierry Groensteen, son éditeur chez Actes Sud/L’an 2. Il se nourrit des maîtres anciens : sur une photo de son atelier, j’ai remarqué une reproduction de Piero de la Francesca. Venu à la bande dessinée armé d’une très forte sensibilité d’illustrateur, il a gardé son attachement à la belle image. Le fantastique, l’insolite, le merveilleux, ont toujours leur part dans son univers, même lorsque son propos est social. L’ouvrage sur lequel il travaille actuellement traite de la crise économique en Espagne, mais plusieurs de ses personnages ont des têtes d’animaux. »

Tous ces éléments, associés à une palette sombre et sourde – tons gris et charbonnés, couleurs ternes – trouvent leur aboutissement dans Le paradis perdu. C’est l’œuvre la plus aboutie – à ce jour – de Pablo Auladell. Elle prend pour base le poème épique composé au XVIIe siècle par l’anglais John Milton. Après William Blake et Gustave Doré, cette bande dessinée de 315 pages illustre à son tour la guerre des bons et des mauvais Anges, la chute de Satan, l’exclusion d’Adam et Ève du Jardin d’Éden. La gestation de l’album fut aussi âpre et longue que les combats célestes : en 2010, l’éditeur de poésie Huacanamo propose à Auladell d’adapter en bande dessinée l’œuvre de Milton. « Ce travail a duré si longtemps qu’il a fini par prendre valeur de projet personnel », sourit aujourd’hui l’artiste.

Une première partie est publiée puis, « pour diverses raisons », le projet est abandonné. Deux ans plus tard, l’éditeur numérique Minos Digital relève le gant. Trois années durant, Auladell dessine donc trois nouvelles parties. Mais au fil du travail, le traitement de la couleur, des personnages, des décors, ont évolué. Tout uniformiser ? Non. Comme l’explique l’auteur dans son avant-propos, « je n’ai finalement retouché que l’indispensable afin de garantir une certaine cohérence esthétique et narrative. »

Des retouches a minima, pour laisser « ces cicatrices sans trop de maquillage » et témoigner d’une lente maturation. Ces cicatrices-là ajoutent un relief aux avalanches de corps nu, aux Archanges au nez en bec d’aigle, au Dieu lourd comme un Marlon Brando, à son Fils combattant sous un masque d’agneau, à Satan sculptural et sombre sous son chapeau noir. Si l’on ajoute à cela la remarquable synthèse du poème originel, il est difficile de ne pas voir dans Le Paradis perdu un chef-d’œuvre. Ni de comprendre qu’il nimbe de sa lumière le travail de Pablo Auladell, passé, présent, et forcément à venir.

François Landon