BRECHT EVENS

Les Amateurs

Exposition du 18 novembre au 10 décembre 2011

Après Robert Crumb et Aline Kominsky, la galerie Martel ouvre ses murs à Brecht Evens. Avec Les Noceurs, ce jeune Flamand avait illuminé le ciel d’Angoulème 2011. Les Amateurs, son nouvel opus également publié par Actes Sud BD, exalte encore ses talents : intelligence du récit, relief des personnages, maestria graphique. La galerie Martel est heureuse d’accueillir le lancement des Amateurs et d’en présenter les planches originales.

Brecht Evens est né en 1986 à Hasselt, dans la province belge du Limbourg. Il a donc 25 ans, et son oeuvre compte déjà deux périodes distinctes. D’abord, Brecht le « stripauteur » – comme disent les Flamands – qui publie dans des zines, sort des albums remarqués, Un Message de l’espace, Pinokkio, Animaux nocturnes. L’inventivité et l’exigence sont là, reste à prendre la carrure. C’est à Saint-Lucas, école d’art de Gand, où il s’inscrit ensuite, qu’Evens va faire éclater son propre miroir. En année de master, il doit réaliser un livre et choisit pour référente Goele Dewanckel, illustratrice reconnue. Elle raconte : « Brecht retombait dans son vieux style, avec un trait noir cernant la couleur. Je lui ai demandé son carnet de croquis. Il y avait des aquarelles qui lui ressemblaient vraiment. C’était la voie qu’il devait suivre. Celle où il trouverait les moyens de grandir. »

Ce travail de fin d’études qu’Evens mettra deux ans à achever sera Les Noceurs, publié en sept langues. Son thème urbain est l’ombre portée de la vie sociale de l’auteur : sur fond de nightclub et de séduction, une ronde douce-amère de garçons et de filles en proie à leur image. Façon 3e millénaire, il y a là quelque chose des Tricheurs ou de La Fureur de vivre – mais Brecht Evens, à la différence de Marcel Carné ou de Nicholas Ray, a l’âge exact de ses personnages, ce qui lui évite les naïvetés et les fausses notes. À ceci près surtout qu’il se garde, dans ses narrations peintes, de tout regard cinématographique. Alors, mettant le récit en scène, des explosions de couleurs pleine page – des « grands tableaux », dit Goele Dewanckel – alternent avec des cases au cordeau, des espaces blancs, de sages tête-à-tête à la Jules Feiffer, des esquisses, des décors uniques où le même personnage figure plusieurs fois à la manière de Winsor McCay ou des gravures bibliques de la renaissance allemande. Un coup de maître. Après ce foisonnement bien tempéré, comment faire mieux ?

Par exemple, en troquant les pulsations de la ville pour la léthargie de la cambrousse. En abordant la question, cuisante pour un auteur graphique, de l’art sans grand A. Car le pitch des Amateurs est celui d’une comédie : Pieterjaan, un plasticien frustré, est choisi pour animer la première Biennale du village de Beerpoele. Les artistes qu’il doit guider vont de l’autiste ombrageux à l’auguste de cirque. Leurs oeuvres ? Tracé maniaque de spirales, peinture de bassines ou animaux en baudruche. Pieterjaan conduit sa troupe à l’assaut d’un projet colossal. Le succès ne sera pas au rendez-vous, mais l’humanité, oui.

Cette trame est le mix d’un rêve d’Evens et de la mésaventure authentique d’un de ses copains, tombé dans le piège de la création en milieu rural. Cela dit tout. Quant au graphisme, encore plus ample et maîtrisé que dans Les Noceurs, il prend sans faille en charge les passages du rêve au réel et du réel au rêve, servant rigoureusement la narration. Thomas Gabison, éditeur d’Evens chez Actes Sud avec Michel Parfenov, a suivi au jour le jour la genèse du livre : « Brecht a construit un storyboard étoffé qui a évolué au fil du temps. Puis il s’est lancé dans des choses très recherchées, très jolies, en rupture avec le style des Noceurs. Elles s’éloignaient trop du sujet. Il les a retranchées, pour ne pas égarer son lecteur. » Une évocation de Botticelli est ainsi passée à la trappe. Mais Hockney, Balthus, Grosz, Van Gogh, Seurat, Hokusai, Bacon, les Médiévaux et ceux d’Orient brillent, dans ces pages, par leur présence. Parfaitement intégrées, ces allusions dosées sont là, poursuit Gabison, « pour éclairer la psychologie des protagonistes. Ces créateurs de village sont à des lieues de peindre un pape hurlant ou une nuit étoilée, mais leur passion n’est pas inférieure à celle d’un Bacon ou d’un Van Gogh. »

Car la force des Amateurs, c’est la générosité : « Quand je travaille le plan, je veux montrer les mauvais côtés des personnages », explique Evens. « Mais ce regard critique s’efface dès que je commence à vivre dans l’histoire. » Cet auteur-là peut malmener son petit monde en lui manifestant de la tendresse, si bien que les artistes infantiles découvriront dans la catastrophe qui saccage leur espoir une sagesse nouvelle. Brecht Evens, du texte et de l’image, les a à son tour fait grandir.

François Landon