Alex Barbier
Vernissage jeudi 20 octobre à partir de 18h00
Exposition du 21 octobre au 26 novembre 2022

Créateur au sens pur, passé du dessin à la peinture sans cesser de planter ses crocs dans son univers fantasmatique, Alex Barbier a bouleversé les codes de la BD. Pionnier de la couleur directe, cet « artiste pour artistes » a déchaîné l’enthousiasme de ses pairs. Disparu voici trois ans, il mérite aujourd’hui une vraie ouverture au public. À partir du 21 octobre, la Galerie Martel est donc heureuse de présenter une sélection de planches et de peintures de cet artiste hors-norme – y compris des originaux de Métempsychose, son dernier ouvrage édité par le Fremok.

« Je me suis formaté un univers où j’aimerais à moitié vivre. Et finalement, c’est ce que j’ai fait. J’ai à moitié vécu dans cet univers… » Cet univers-là, Alex Barbier l’évoque désormais dans des vidéos : il est mort en 2019, à 68 ans. Cet univers-là s’est épanoui dans son œuvre trop compacte et trop brève. Cet univers-là a deux clés. L’alcool. Il raconte que le matin, avant l’école – il avait huit ans – on lui donnait à boire un « fortifiant » : un œuf battu, beaucoup de sucre, du mousseux. « Après », raconte-t-il, « j’étais… bien. » Et la sexualité. Plutôt, le sexe entre garçons. Il l’a goûté jeune – alors l’enseignement n’était pas mixte – pour le retrouver hard-core au service militaire, arrosé de Mandrax, ce sédatif aphrodisiaque. Évidemment, son talent magistral ne se résume pas à ça. Mais c’est ainsi que son univers imaginaire et artistique s’est formaté. À coup de flashes-back hallucinés.

Les Paysages de la Nuit, 1994, encre sur papier, 40 x 50 cm

Thierry van Hasselt, son actuel éditeur au Fremok, a rencontré Barbier dans les années 90. Autour de Paysage de la nuit et Comme un poulet sans tête, Angoulême consacrait une expo à l’artiste dont Delcourt avait repris la publication. Depuis dix ans, sa carrière était en panne. « C’était un personnage impressionnant », se souvient van Hasselt. « Il portait le trouble vénéneux de ses BD. Comme l’aura dégagée par un William S. Burroughs. » Pour publier Barbier, van Hasselt et ses comparses du futur Fremok ajouteront un cahier couleur à leur revue : l’artiste ne travaille jamais en noir et blanc. Barbier est un pionnier de la BD en couleur directe. Pas moins.

Comme un poulet sans tête, 1994, encre sur papier, 40 x 50 cm

Il est entré en scène une vingtaine d’années plus tôt, avec la publication de Lycaons dans Charlie Mensuel, alors flambeau de la BD adulte. Du jamais vu. Un univers lourd et fantasmatique, des environnements plombés, un jeu de couleurs inouï. Là, des éphèbes à longs cheveux, déjà torse nu, achèvent de baisser leur blue-jean. On les voit couchés, mêlés, figés dans l’acte. Francis Bacon a compté dans le regard d’Alex Barbier : « Pour le traitement de la chair. En fait, Bacon a moins joué sur mon art que sur mon existence. » Des décors déjetés, désaffectés, sans espace blanc entre les cases. Des textes posés en couleur, moins écrits que peints, avec parfois les flous, les tremblements, les pâtés de l’enfance. Wolinski, alors patron de Charlie mensuel avec Gébé, lui dit un jour : « Tu ne te rends pas compte du bordel que tu as semé. » Et Barbier, à quelques années-lumière d’intervalle lui répond, « Je travaille toujours sur le même fond de sauce. » Car de Lycaons à Métempsychose, dernier album de Barbier au Fremok, l’artiste a toujours rivé le même clou, poursuivant cette chimère rare, cristalline, douloureuse : une œuvre. Rien d’étonnant qu’il chérisse Céline, Dick et Proust. Lui aussi puise dans sa vie pour en extraire l’étoile. Il a besoin du vécu, du réel, pour construire son univers de rêve. Une lecture précoce de L’affaire Tournesol, album abandonné chez des grands-parents, détermina ce que serait son trajet : « La BD est la dernière chose qui s’attaque encore au réel. On peut jouer avec ça, et le mettre en danger avec une espèce d’abstraction. Mais je ne tomberai pas dans cet abîme. » Sa détestation du non-figuratif est connue : « pour ce qui est de ne rien dire et de ne rien représenter, l’art contemporain est imbattable. Inutile d’essayer de lutter avec lui. » Outre Hergé, il a puisé ses racines chez Franquin et Tillieux. Son amour des voitures vient de cette école. Épaulant ses fins éphèbes et ses loups-garous, il a sculpté les courbes de grosses américaines et de souples DS Citroën, les affublant en contre-champ de la planche de bord dérisoire d’une 403 Peugeot : « Il a pris pour modèle la voiture de mon père », sourit Aline Barbier, épouse complice de sa vie et de son œuvre. « Alex adorait les voitures mais n’avait pas le permis. Je conduisais. » Toujours l’oscillation éperdue entre deux demi-univers. La même faim l’amenait à prendre des centaines de photos d’êtres – proches ou non, et dont certains ignoraient ce que leur image allait devenir – ou de décors en perdition. Comme le casino abandonné de V., station thermale à un jet de pierre du village pyrénéen où il élut un temps domicile.

Lettres au maire de V., 1994, encre sur papier, 40 x 50 cm

Étudiant aux Beaux-Arts sur la fin des années 60, il avait lu Hara-Kiri qui publiait alors le Jodelle et le Pravda de Guy Pellaert : « Un maître. Un peu daté, mais pas vieilli. » Référence qu’il dépassa elle aussi pour devenir lui-même, comme il avait digéré sans les rejeter la ligne claire et ses codes. Il fut ensuite prof d’arts plastiques, mais ses cheveux teints en rouge et ses méthodes le firent vite chasser de l’Éducation nationale. Puis il tomba, dans une vente aux enchères, sur un lot d’encres anciennes, « très belles, d’un noir bleuté. » On connaît la suite magnifique. Le vrai fil de cette vie subversive et sérieuse, douloureuse et drôle, âpre, acharnée, jouissante ? C’est l’œuvre. Mais si l’on veut un portrait d’Alex Barbier venu de notre monde réel, laissons parler l’un de ses petit-fils, alors enfant : « il a les cheveux jaunes et il parle beaucoup. Il parle bien, mais je ne comprends pas tout. »

François Landon

©Isabelle Lemercier

A creator in the purest sens of the word, who went from drawing to painting without ceasing to sink his fangs into his fantastical universe, Alex Barbier has turned the codes of comics on their head. A pioneer of direct color, this “artist for artists” unleashed the enthusiasm of his peers. He passed away three years ago, but today he deserves a real opening to the public. Starting October 21, Galerie Martel is pleased to present a selection of drawings and paintings by this extraordinary artist – including originals of Métempsychose, his last book published by Fremok. 

“I’ve formatted myself into a world where I’d half like to live. And in the end, that’s what I did. I half lived in this universe… ” This universe, Alex Barbier now evokes it in videos: he died in 2019, at 68 years. This universe blossomed in his too compact and too brief work. This universe has two keys. Alcohol. He tells that in the morning, before school – he was eight years old – he was given to drink a “tonic”: a beaten egg, a lot of sugar, sparkling wine. “Afterwards,” he says, “I was… fine.” And sexuality. Rather, sex between boys. He tasted it when he was young – then education was not mixed – only to find it hard-core in military service, washed down with Mandrax, that aphrodisiac sedative. Obviously, his masterly talent is not limited to that. But this is how his imaginary and artistic universe was formatted. With hallucinated flashbacks.

 

Thierry van Hasselt, his current editor at Fremok, met Barbier in the 90s. Around Paysage de la nuit and Comme un poulet sans tête, Angoulême devoted an exhibition to the artist whose publication Delcourt had taken over. For ten years, his career had stalled. “He was an impressive character,” recalls van Hasselt. “He carried the poisonous turmoil of his comics. Like the aura of a William S. Burroughs. To publish Barbier, van Hasselt and his comparses of the future Fremok will add a color section to their magazine: the artist never works in black and white. Barbier is a pioneer of direct color comics. No less.

 

He entered the scene about twenty years earlier, with the publication of Lycaons in Charlie Mensuel, then the flagship of adult comics. Never seen before. A heavy and phantasmatic universe, leaded environments, an unheard of play of colors. There, long-haired ephebes, already shirtless, finish lowering their blue jeans. We see them lying down, mixed, frozen in the act. Francis Bacon was important to Alex Barbier: “For the treatment of the flesh. In fact, Bacon has played less on my art than on my existence. Disused, disused settings, without white space between the boxes. Texts posed in color, less written than painted, with sometimes the blurs, the tremors, the pates of childhood. Wolinski, then boss of Charlie mensuel with Gébé, said to him one day: “You don’t realize the mess you’ve made”. And Barbier, a few light years apart, replied, “I’m still working on the same sauce.” For from Lycaons to Métempsychose, Barbier’s latest album at Fremok, the artist has always riveted the same nail, pursuing this rare, crystalline, painful chimera: a work. No wonder he cherishes Céline, Dick and Proust. He too draws from his life to extract the star. He needs the lived, the real, to build his dream world. An early reading of L’affaire Tournesol, an album left at his grandparents’, determined what his path would be: “The comic book is the last thing that still tackles reality. One can play with that, and put it in danger with a kind of abstraction. But I won’t fall into that abyss. His detestation of the non-figurative is well known: “as far as saying nothing and representing nothing, contemporary art is unbeatable. It is useless to try to fight with it. In addition to Hergé, he has drawn his roots from Franquin and Tillieux. His love of cars comes from this school. Supporting his fine ephebes and his werewolves, he sculpted the curves of big American cars and supple Citroen DS, giving them the derisory dashboard of a 403 Peugeot: “He took my father’s car as a model,” smiles Aline Barbier, his wife and accomplice in his life and work. “Alex loved cars but didn’t have a license. I was driving.” Always the distraught oscillation between two half-universes. The same hunger led him to take hundreds of photos of people – close or not, and some of whom did not know what their image would become – or of settings in perdition. Like the abandoned casino in V., a spa town a stone’s throw from the Pyrenean village where he once made his home.

 

As a student at the Beaux-Arts at the end of the 60s, he had read Hara-Kiri, which was then publishing Guy Pellaert’s Jodelle and Pravda: “A master. A little dated, but not aged. A reference that he also went beyond to become himself, as he had digested without rejecting the clear line and its codes. He was then an art teacher, but his red-dyed hair and his methods quickly drove him out of the National Education. Then, in an auction, he came across a lot of old inks, “very beautiful, of a bluish black”. We know the magnificent continuation. The real thread of this subversive and serious life, painful and funny, bitter, relentless, enjoying? It is the work. But if we want a portrait of Alex Barbier from our real world, let’s let one of his grandsons, then a child, speak: “He has yellow hair and he talks a lot. He talks well, but I don’t understand everything.”

 

François Landon

Revue de presse

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