BRECHT EVENS

Paris

Exposition du 4 mai au 2 juillet 2016
Vernissage le mardi 3 mai à partir de 18 h 30
Séance de dédicaces le mardi 10 mai de 17h30 à 19h30

Il y avait eu Les Amateurs (2011) et Panthère (2014). Avec le Travel Book consacré à Paris qu’il publie chez Louis Vuitton, c’est la troisième fois que Brecht Evens accroche ses originaux aux cimaises de la Galerie Martel. Pas de récit, bien sûr, pour cet album traçant le portrait d’une ville où l’artiste réside depuis trois ans. Mais un regard décalé, une dynamique de la couleur qui ont fait la jeune réputation de Brecht Evens, een Vlaming in Parijs – un Flamand à Paris. «

Plus j’avançais et plus je m’amusais. Ce type de travail où l’on n’est pas tenu de raconter une histoire a un avantage. On peut donner le livre à un ami sans lui demander ensuite, ‘alors, que penses-tu de mon âme ? » Brecht Evens exagère un peu. Son âme est bien présente dans ces pages à l’italienne, et de multiple façon. On connaît le principe de la collection : un artiste, une ville, un livre (muet). L’éditeur attend bien sûr la mise en scène des grands totems. Envoyé portraiturer le Palais de Chaillot, Brecht Evens a poussé son exploration un peu plus loin, pour croquer deux parasols nocturnes sur une terrasse de la place Victor-Hugo. Lui qui affirme creuser son propre village dans un coin de la grande ville, a donc découvert des endroits hors de ces 11e et 20e arrondissements qu’il arpente de préférence. L’affaire lui a pris une année, pas moins, avec deux phases intenses de trois mois.

« Ce qui m’a plu, c’est de travailler en direct, en face de mon sujet, avec ma feuille A4 et ma petite boîte d’aquarelle. Je n’aime pas peindre d’après photo : comment peut-on conserver vivante une émotion mise en conserve durant plusieurs semaines ? Des photos, je n’en ai fait qu’au Louvre, non pas pour cadrer mon dessin, mais pour respecter la disposition des toiles ornant les murs. Et passage des Panoramas, pour compacter des devantures et des enseignes. »

Devant l’Opéra, au milieu du flot des voitures, un vieux monsieur, ancien prof de dessin, lui a décerné quelques « pas mal… » en lui faisant remarquer l’hérésie – ou la fantaisie – de ses couleurs. Il est vrai que Brecht a illuminé ce monument, comme Notre-Dame et le Sacré-Cœur, en les transformant en église russe ou en temple indien. Magie de la peinture sur le motif, qui contraint à saisir sur 360 degrés les détails d’un lieu ? Ou de la technique de l’aquarelle – car en temps ordinaire, Brecht Evens emploie surtout des encres Ecoline – dont les mélanges peuvent réserver toutes les surprises ? Des pages éclatantes de lumière alternent avec d’autres, nocturnes, percées de phares ou de réverbères. Des personnages multicolores, enlevés comme des croquis de mode et des dessins au trait noir, tirés d’un carnet de croquis, viennent alléger l’ensemble.

Le site Tolbiac de la bibliothèque nationale ? C’est sa maquette, prise dans une cage transparente, que contemple un bonhomme mollement interrogatif : Brecht Evens n’a pas dû être inspiré par les visions de Dominique Perrault. Comme saisis par une longue pause photographique, les personnages fantomatiques laissent passer la lumière et les détails des monuments. Ils sont fugaces, alors que l’architecture demeure. Et l’artiste n’a pu s’empêcher de glisser dans l’ouvrage deux ou trois petits strips muets en six cases. Comme des vidéos qui jailliraient d’un album de photos.

La rue du Château d’eau – une artère populaire et vivante où Brecht Evens a habité – a droit aussi aux honneurs de la gouache, de l’Ecoline ou de l’aquarelle. C’est le quartier des salons de coiffure africains, dont les rabatteurs hèlent les clientes potentielles.
« Sur mon bloc j’ai tracé la chaussée, et de chaque côté les façades couchées à plat. Je leur ai demandé de dessiner des personnages, explique Brecht. Ça m’a plu. » Dans l’ouvrage, la rue du Château d’eau est représentée ainsi. Pour faire bonne mesure, la chic rue du Faubourg Saint-Honoré a subi le même traitement. « Cette restitution du réel n’a rien de gratuit, commente Brecht Evens. Il s’agit d’un schéma d’où l’inutile a disparu. C’est l’avantage du dessin. »

Fixé au mur de son appartement, un travail en cours. Un papier, peint en vert pâle et recouvert de plusieurs calques porte un motif abstrait et élégant comme ces mappemondes médiévales, où les terres connues sont entourées du fleuve Océan. C’est un arbre généalogique de la poésie mondiale que Brecht est en train de construire. Sous la fenêtre de cet appartement du 20e, brillant comme une plaque de métal, Paris.

François Landon