DANIEL CLOWES

Patience

Exposition du 1er février au 11 mars 2017
Vernissage le mardi 31 janvier à partir de 18 h 30
Dédicace le mercredi 1er février à partir de 15h

Comme Charles Burns, comme Chris Ware, l’artiste made in Chicago peut revendiquer un titre rare : celui d’auteur issu du graphisme indé ayant influencé plusieurs générations de cartoonists. La différence ? Le géant Clowes, malgré ses tirages et ses trophées, n’avait jamais exposé en Europe. La Galerie Martel est heureuse de présenter enfin une riche sélection de ses originaux, couvrant les trente ans de sa carrière d’artiste, de raconteur d’histoires, de scénariste de cinéma, d’inventeur de typos.

Cette exposition unique donne une nouvelle dimension au dernier ouvrage très attendu de Clowes, Patience, un concentré mature de toute son inspiration. Patience et Jack sont amoureux. Patience attend un enfant de Jack. Patience est assassinée. Jack le looser devient Jack le vengeur. Il se jette dans la seule dimension qui peut ressusciter son bonheur : le temps.

Patience a été entamé en 2010 et achevé en 2016, et pensé double page par double page, approche inédite chez l’artiste. Ces planches grand format marquent le retour de Clowes aux comics originels : couleurs, onomatopées, illustrations pleine page. Il a caché ces planches à tous, à son éditeur et son épouse. La raison ? La peur maladive de l’erreur avec laquelle il joue depuis toujours et qui se lit dans toute son œuvre : « La moitié du temps, je trouve mon travail très chouette, révèle-t-il. Et puis, je me dis que je ferais mieux de ne pas le publier. Si bien que je me garde de demander la moindre avance avant la fin du bouquin. »

Regardez les originaux exposés Galerie Martel. Gynecology, par exemple. Un ado blanc fan de culture jazzy se fixe à l’héroïne sans jamais parvenir à s’accrocher. Ou cette planche où David Boring et une amie échangent ce dialogue : « Pauvre David… Enfin, tu as quand même réussi à la sauter, hein ? » – « Une fois seulement. » – « Moi, je la trouvais trop grosse. » Sous des traits fun, acérés, ou dérisoires, Clowes projette sans cesse sa hantise des mauvais choix.

« Quand j’étais gamin ça m’arrivait sans arrêt : ‘Si seulement je ne m’étais pas fourré les doigts dans le nez en SVT, devant cette fille !’ » Dans son palmarès exceptionnel – de Ice Haven à Mr Wonderful, de Lloyd Llewelyn à Wilson, de Comme un gant de velours pris dans la fonte au Rayon de la mort ou à Ghost World – le thème est martelé, gratté jusqu’au sang… sans jamais aboutir. Mais Patience offre une échappatoire à ces désastres mous. Le voyage temporel gomme le mauvais choix et donne une deuxième chance au réel. Jack, le plus ressemblant des doubles de l’auteur, sera le premier à passer la barre.

Il aura fallu à Clowes trente ans d’un travail sans faute pour en arriver là. Daniel Gillespie Clowes naît à Chicago en 1961. L’enfance est marquée par le divorce de ses parents – Daniel a deux ans. Il subit des va-et-vient entre trois foyers qui ne communiquent pas. Un autre chef d’œuvre du voyage temporel, le court-métrage La Jetée de Chris Marker, dit : « Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leurs cicatrices. » Des cicatrices, Clowes en porte beaucoup. Son courage a été de les révéler. Son talent, de les enluminer. Sa chance, de découvrir via un grand frère les superhéros, Mad Magazine, Robert Crumb. Clowes possédait la nécessité, l’univers, le médium – les trois conditions d’une création lumineuse et corrosive.

Il s’est fait connaître au tournant des années 1980. Il a joué un rôle majeur dans la reconnaissance de la bande dessinée : Ghost World a été l’un des premiers comics à conquérir les librairies américaines traditionnelles. Il scénarisera le film tiré de la BD – un travail préparatoire à la jaquette du DVD est exposé Galerie Martel. Son thème favori était alors l’adolescence, ses rêves, son mal-être. Aller en fac ou devenir serveuse ? Dans les années 1990, c’est le dilemme de Ghost World. En 2016, ce sera aussi celui de Patience. Après 2000, l’univers de Clowes évolue. L’angoisse change de registre. Voici venir les cheveux gris, les doutes sur la virilité, les certitudes fracassées, les demi-mesures douillettes – qu’incarnent Wilson ou Mister Wonderful.

Malédiction ? Peut-être pas… Mais ce qui compte, c’est que Clowes n’a cessé de produire des Great American Comics, comme il y a des Great American Novels. Toute son œuvre peut revendiquer les dernières lignes de Gatsby : « C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé. »

François Landon