ÉRIC LAMBÉ

Le Fils du Roi

Exposition du 18 janvier au 28 février 2013

 

Après le New Yorker et ses couvertures virtuoses, c’est Éric Lambé qu’accueille la Galerie Martel à partir du 18 janvier, en exposant les originaux de son Fils du Roi. Ce livre somptueux est déjà considéré comme son grand-oeuvre. Tracé au Bic bleu et noir, il entrecroise dans un langage graphique d’une qualité rare les pages sombres d’un roman familial, et le péripéties d’une rencontre amoureux qui n’aura jamais lieu.

Boys never meets girl. Ils pourront tourner longtemps dans cette ville close, enter les maisons d’une symétrie affolante, pour autant ils ne se verront pas. Ils pourront imprimer côte à côte leurs empreintes digitales sur une strie blanche de passage piétonnier, la rencontre n’aura pas lieu. Le garçon et la fille resteront aussi seuls que sont seuls les hôtes de cette ville sourde et muette, ces créatures à la Bosch ou à la Grandville échappées de cartoons, de réclames, de toiles et de maîtres modernes, de réclames, de toiles de maîtres modernes, qui elles non plus de se voient pas.

Tel est l’axe narratif du Fils du Roi, la dernière oeuvre d’Éric Lambé. Un récit en pure image, où aucun mot ne vient accompagner les dessins, mais où le silence parle fort. En sous-main, origines et références foisonnent. Or, c’est la technique pauvre et exigeante choisie par Lambé, le crayon à bille quasi-monochrome, qui fait exister le récit et son cadre dans l’espace et dans le temps, qui le relie à sa genèse et lui donne son ampleur. C’est pourtant le même Bic qui hante les salle d’ergothérapie et autre repaires improbable de l’art brut. Le même dont la pointe tue les minutes des coups de fil, les heures des coups de bambou. Il n’y a pas de miracle : « Dès que j’ai commencé à croiser mes lignes », raconte Éric Lambé, « j’ai compris que le temps imbibait le dessin. Les traits creusés par la pointe du crayon à bille restent ordonnés en couches superposées. Le support conserve la mémoire des traits qui le recouvrent, et celle du temps passé en exécution. »

 

Le Fils du Roi (Frémok), 2012

bic bleu et noir sur carton

49 x 49 cm

 

Outre le temps, le Bic de Lambé a fait apparaître sur ses cartons de grand format le reflet – ou le fantôme – de récits courts parus voici une quinzaine d’années sous le titre Jours ouvrables. Ces récits annonçaient le minimalisme du Fils du roi. Au sein de Frémok, qui a publié ce dernier ouvrage, Thierry Van Hasselt s’est plus spécialement chargé de son édition. Également dessinateur, il enseigne à Bruxelles, à l’institut de graphisme Saint-Luc – comme Éric Lambé. Les deux hommes ont tout pour être proches, et le sont : « Après des travaux pour des maisons traditionnelles, Futuropolis, Le Seuil, Casterman, Éric avait besoin de revenir à une pratique plus personnelle », dit Van Hasselt. « Voici quatre ans, il m’a montré ses premiers dessins au Bic bleu et noir. Ils dégageaient une telle force que je l’ai exhorté à poursuivre. »

C’est sans scénario qu’Éric Lambé s’est lancé dans son livre. Il n’a cherché aucun dérivatif au fastidieux travail de croisement des lignes bleues et noires. « Pour lui, cela devait ressembler à la récitation d’un mantra. », sourit Van Hasselt. « L’une de ces activités méditatives qui fixent l’esprit tout en le laissant disponible. » Alors, sous la bille d’Éric Lambé comme sous la planche ouija d’un médium, des images sont nées. Magritte le Belge, car le travail de l’auteur est lié à une recherche identitaire. Le Guernica de Picasso. Des intérieurs de Vihelem Hammershoi . George Grosz. Autant d’artistes qui l’ont aidé à avancer , dont le travail et la vie l’intéressent. Sans parler bien sûr d’une cameo appearance du Bic boy, l’ado à grosse tête sphérique créé par Raymond Savignac en 1961.

Enfin, Balthus : La rue a droit à deux présences, dont la couverture. Et, explique Lambé, ce n’est pas un hasard : « Le temps inouÏ passé sur chacun de ses tableaux et son pseudo-académisme décalé m’ont fasciné. Mais il y a autre chose. » Éric Lambé fait sienne la théorie de Jacques Biolley, pour qui la force de Balthus réside dans le drame invisible que dissimule sa peinture. Si dans Le fils du roi dérive le souvenir bénin d’une maison de grand-mère, le livre porte aussi la trace d’événements dramatiques, de peurs personnelles que le dessin laisse présager et sur lesquels l’auteur « n’aime pas mettre des mots ».

Alors, on retiendra de lui qu’il a quarante-six ans, une solide notoriété et énormément de talent, qu’il a passé les premières années de sa vie au Zaïre (ex-Congo belge) et que le titre de ce livre lui être apparu voici quinze ans, lorsque son père lui a soufflé : « Tu sais que tu es le fils du roi. » C’est peu ? Lorsque la Tate Gallery organisa une grande exposition Balthus, elle demanda des détails biographiques au peintre. « Pas de détails biographiques », répondit celui-ci. « Commencez par ‘Balthus et un peintre dont on ne sait rien. Et maintenant, regardons les peintures’. »

François Landon