Eric Lambé
A propos
Le Fils du roi. Tracé au Bic bleu et noir, le livre d’Éric Lambé entrecroise les pages sombres d’un roman familial et les péripéties d’une rencontre amoureuse qui n’aura jamais lieu. Car ils pourront tourner longtemps dans la ville close, ce garçon et cette fille ne se verront pas. Ils pourront imprimer côte à côte leurs empreintes digitales sur une strie blanche de passage piétonnier, la rencontre n’aura pas lieu. Le garçon et la fille resteront aussi seuls que sont seuls les hôtes de cette ville sourde et muette, ces créatures à la Bosch ou à la Grandville qui elles non plus ne se voient pas.
Un récit en pure image, où le silence parle fort. En sous-main, origines et références foisonnent. Or, c’est une technique pauvre et exigeante, le crayon à bille quasi-monochrome, qui fait exister l’histoire, la relie à son cadre et à sa genèse, lui donne son ampleur. Ce même Bic qui hante les repaires improbables de l’art brut, tue les minutes des coups de fil, les heures des coups de déprime. « Le temps imbibe le dessin », dit Éric Lambé. « Les traits creusés par la bille restent ordonnés en strates superposées. Le support garde la mémoire des traits qui le recouvrent, et celle du temps passé en exécution. Dès que j’ai commencé à croiser mes traits, je l’ai compris. »
Au sein de Frémok, qui publie Le fils du roi, Thierry Van Hasselt s’est plus spécialement chargé de son édition. «Après des travaux pour des maisons traditionnelles, Éric avait besoin de revenir à une pratique plus personnelle», dit-il. « Voici quatre ans, il m’a montré ses premiers dessins au Bic bleu et noir. Ils dégageaient une telle force que je l’ai exhorté à poursuivre. » L’artiste n’a cherché aucun dérivatif au fastidieux travail de croisement des lignes bleues et noires. « Pour lui, ça devait ressembler à la récitation d’un mantra », sourit Van Hasselt. « L’une de ces activités méditatives qui fixent l’esprit tout en le laissant disponible ». Alors, sous la bille, des images sont nées. Magritte le Belge, car le travail de l’auteur est lié à une recherche identitaire. Le Guernica de Picasso. Des intérieurs de Vihelem Hammershoi. George Grosz. Autant d’artistes qui l’ont aidé à avancer. Sans parler d’une cameo appearance du Bic boy, l’ado à grosse tête sphérique créé par Raymond Savignac en 1961. Enfin, Balthus : La rue a droit à deux présences, dont la couverture. « Le temps inouï passé sur chacun de ses tableaux et son pseudo-académisme décalé m’ont fasciné », explique Lambé. « Mais il y a autre chose. »
Éric Lambé fait sienne la théorie de Jacques Biolley, pour qui la force de Balthus réside dans le drame invisible que dissimule sa peinture. Et Le fils du roi porte la trace d’événements dramatiques, de peurs personnelles sur lesquels l’auteur « n’aime pas mettre des mots ». Alors, on retiendra de lui qu’il a quarante-six ans, qu’il a passé les premières années de sa vie au Zaïre (ex-Congo belge) et que le titre de ce livre est apparu voici quinze ans, lorsque son père lui a soufflé : « Tu sais que tu es le fils du roi. » C’est peu ? Lorsque la Tate Gallery organisa une grande exposition Balthus, elle demanda des détails biographiques au peintre. « Pas de détails biographiques », répondit celui-ci. « Commencez par, ‘Balthus est un peintre dont on ne sait rien. Et maintenant, regardons les peintures’. »
François Landon