FLORENCE CESTAC

Filles des Oiseaux

Exposition du 16 septembre au 15 octobre 2016
Vernissage le jeudi 15 septembre à partir de 18 h 30

Seule femme récompensée par le Grand Prix d’Angoulême, douée d’une patte aussi personnelle qu’une signature, Florence Cestac poursuit une œuvre d’une variété et d’une cohérence rares. Elle en exposera les originaux à la Galerie Martel à partir du 16 septembre, autour de son dernier album, Filles des Oiseaux.

« Cette pension religieuse de Honfleur, j’y suis restée de la sixième à la seconde. J’avais demandé à y être inscrite. Nous faisions partie de la bourgeoisie rouennaise, je voulais m’éloigner de ma famille, la France était à mourir d’ennui. » Dans cette institution, la sœur responsable des cours de couture se cure les dents avec les aiguilles des élèves. Les tampons périodiques ont rang d’invention du diable. Comme les postes à transistors. Comme les garçons croisés dans la rue. Comme tout, au-delà des murs. « C’était voici cinquante ans, et on a l’impression de parler du Moyen Âge. » Sa pension, Florence Cestac l’a choisie pour cadre de son tout dernier récit, Les Filles des Oiseaux.

Il ne s’agit pas d’une comédie documentaire, comme sa Véritable Histoire de Futuropolis, ni d’une étude de mœurs « fun », comme sa trilogie des Démons (de midi, d’après midi, du soir). Filles des Oiseaux est un récit d’auteur — ou plutôt un récit d’autruche, le substantif féminin que Florence Cestac a forgé pour définir son métier d’artiste. La narratrice, Thérèse, fille de paysans, a grandi « les deux pieds dans la bouse ». Sa complice, Marie-Colombe, est une jeune fille pur Neuilly. Florence Cestac, qui a tâté autant des vaches de ses grands-parents fermiers que de la DS 19 cabriolet de son père, a réparti ses propres souvenirs entre les deux héroïnes, panachant le tout d’imagination : la fille des Oiseaux qui tombe enceinte ? Vrai. L’ado qui se suicide en mobylette ? Faux. Ce récit va mener Thérèse et sa copine jusqu’en 1968, puis jusqu’à notre époque.

Florence Cestac aime que ses histoires soient aussi longues que la vie. Peut-être parce que la vérité humaine est lente à se dégager : « Entre la brillante et l’empotée, au bout du compte, la victoire n’est pas préécrite. » Le dessin de Filles des Oiseaux semble plus acéré que celui des albums précédents. Moins « cartoon ». On peut en voir l’origine dans Des salopes et des anges, dont le thème, l’avortement clandestin, est évidemment en résonnance. « Je ne m’en rends pas compte, mais je vois que je progresse. » Ses premiers dessins, justement, remontent au temps de la pension : « Je dessinais tout le temps. Une maladie ! Mais ça me valait le respect des copines : j’avais fait de grands portraits des Beatles. Quand il y avait une boum, je les scotchais aux murs. » Son préféré ? Ringo Starr : « Rien du beau mec, mais drôle. Et il avait un gros nez… »

Le nez, ce label de Florence Cestac, est bien sûr l’écho de ses premières lectures de Calvo, Popeye, Gaston, comme des petits formats italiens semi-avouables, Pepito, Pipo, le Coco Bill de Jacovitti… « Mon premier personnage du genre a été Harry Mickson, un Mickey qui a troqué ses grandes oreilles pour un béret. Celui de 2016 n’a pas grand chose à voir avec le premier, mais je me le suis “ mis dans le crayon ” — je peux le dessiner dans toutes les positions. C’est très long de créer un personnage que le lecteur identifie tout de suite. »

Parfois, pour échapper à ce travail en solo, Florence Cestac s’offre une récré avec un scénariste. Daniel Pennac, et leur Amour exemplaire. Tonino Benacquista, pour Des salopes et des anges. Et l’extraordinaire Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps, en duo avec Jean Teulé, qui narre, sans imaginaire ajouté, la vie et la mort de Charlie Schlingo : « On l’a raconté sans schéma, à la vitesse de son existence. » Comme en écho aux Deblok, ou à Laura et Ludo, Florence Cestac a ressorti de ses tiroirs un tout petit album en exemplaire unique, dessiné voici trente ans à l’intention de Jules, son fils alors bébé : Un poutacle de marounette mettait en scène Guignol, M. Lapin et Le Méchant.

Une génération plus tard, les trois personnages font la joie d’Auguste, fils de Jules et petit-fils de Florence. « Mon public marche comme ça », dit-elle. Les Deblok étaient publiés dans Mickey, où les trentenaires d’aujourd’hui les avaient découverts. Ils s’y replongent par nostalgie. Ensuite, ils viennent acheter Le Démon du soir pour l’offrir à leur mère. Florence Cestac, entre actualité et rétrospective : un mur entier de la Galerie Martel présentera les originaux de Filles des oiseaux. Les planches phares de sa production passée se partageront le reste de l’espace.

François Landon