Lorenzo Mattotti

Du 16 décembre 2011 au 4 février 2012

A propos

VENISE, EN CREUSANT DANS L’EAU
« Je devais faire quelque chose d’honnête envers moi-même. J’ai essayé de comprendre en profondeur la structure de Venise. » Cette ville, Lorenzo Mattotti en connaît les déserts et les silences. Il y a vécu cinq ans, du temps de ses études d’architecture. Avant l’aube, il allait s’asseoir à la Punta della Doggana, là où Venise fend comme une étrave les flots du Grand canal et ceux de la Giudecca, face à l’espace de la lagune. Il a erré dans ses ruelles muettes et vides.
Puis, trois décennies plus tard, Mattotti a voulu savoir pourquoi Venise le fascinait. En 2009, la fondation d’art contemporain Bevillacqua-Lamasa lui en offre l’occasion. Pour peindre la ville, l’artiste a carte blanche : « J’ai pensé à travailler sur les reflets, ou sur la brique des murs détruits. Mais seule une mise à nu pouvait m’apporter la réponse. » Alors, il simplifie. La Venise de Mattotti est quasi-déserte. Pas de mouettes, à peine une poignée de silhouettes humaines. Peu de monuments. « À Venise, la perspective bouge sans cesse. Franchir un pont la fait évoluer verticalement. Un canal pointe au fond d’une trouée. Une église blanche paraît surdimensionnée. L’espace s’allonge, se ferme, s’ouvre. »
Cette Venise-là est moins un labyrinthe qu’une séquence dont les éléments se réitèrent perpétuellement. Parfois, le regard écrase les plans comme un téléobjectif, ou les libère comme un grand-angle. Traités à l’encre et au pinceau, les dessins en noirs et blancs témoignent de la structure. Dans les travaux en couleur, parfois sur papier népalais, la lumière sert à donner la profondeur topographique, non à construire l’atmosphère. Ceci n’est pas un carnet de voyage. Au bout du compte, la Venise que découvre Mattotti est, selon ses mots, « concrète ». Elle n’a plus rien d’un rêve, avec l’eau de ses canaux lisse comme de l’asphalte, la découpe franche de ses gradins, la silhouette d’une maison tout droit sortie de Giotto, la verdure qui surplombe les murs des jardins cachés.
Pour nourrir En creusant dans l’eau, Mattotti s’est immergé six semaines à Venise. L’essentiel du travail, il l’a effectué dans sa maison de Toscane, directement au pinceau, sans tracé préalable. Presque avec boulimie. La mise en page traduit cette fringale. Et ce n’est pas un hasard si le livre est « idéalement dédié » à David Hockney, l’artiste qui a poussé jusqu’à l’obsession la réflexion sur le regard, et à Saul Steinberg, le maître de l’allègement des lignes. D’autres dessins, en petit format, rythment l’ouvrage.Tracés à la plume dans un gros carnet souple, ils appartiennent à ce que Lorenzo Mattotti appelle sa « ligne fragile ». Des fantaisies, des monstres, des spectres, mais aussi des souvenirs des maîtres, Bellini, Carpaccio, Tiepolo : « C’est un moyen de m’affranchir de la réalité que j’essaie de traduire formellement. En redessinant celle-ci de manière improvisée et onirique, je m’en libère — et à un autre niveau, je m’approprie encore la ville. » L’ayant ainsi absorbée, Mattotti quitte Venise pour cette lagune puissante qui la cerne, la garde et la menace. En fin d’ouvrage, il lui consacre une suite de pastels riches et sombres, où l’eau et le ciel ressemblent à un tarmac. Une dernière manière de mettre sa Venise en place : « Maintenant, je sais comment la dessiner. J’ai enrichi mon alphabet. Je pourrais y dérouler une BD. »

François Landon

Photos Vernissage​

© Isabelle Lemercier

Œuvres exposées​