LORENZO MATTOTTI

Louis Vuitton Travel Book – Vietnam

Exposition du 16 mai au 6 septembre 2014

 

Après Brecht Vandenbroucke et ses acryliques éclatants, c’est à Lorenzo Mattotti que la Galerie Martel offre ses murs : à partir du 15 mai 2014, elle présente les originaux de Vietnam, l’ouvrage que l’artiste vient de publier dans la collection Louis Vuitton Travel Book. Un travail ample et sensible, tant graphique qu’iconographique, où les techniques varient de page en page au fil des sujets et des inspirations.

Au printemps 2012, partant de Hanoï pour gagner le delta du Mékong, Lorenzo Mattotti a parcouru le Vietnam. « En prenant mon temps, c’est à dire en sachant en perdre », précise-t-il. « Assis, à pied, à vélo, j’ai passé des jours à ne rien faire. Lorsque je voyage pour réaliser un travail, je ne sais pas quoi chercher. Je n’ai pas une âme de reporter. J’attends d’être touché par des formes que j’absorberai et ferai miennes. »

 

1 & 3 – Covered textile market
encre de couleur

2 – The flux of motorcycles, scooters, Vespas and bikes, Hanoi
encre de chine

 

Comme pour l’inviter à aller plus loin, le Vietnam a donc présenté à l’artiste les formes qu’il désirait, droit issues de son propre répertoire. Telles ces collines de Sa Pa, avec leurs tourbillonnantes cultures en terrasses : elles n’attendaient que ses courbes de crayon gras pour devenir elles-mêmes. Telle la baie d’Halong, dont Mattotti ne soupçonnait ni la la lumière grise, ni l’adéquation parfaite – à trente ans de distance – avec l’un de ses récits majeurs, Feux : « Au début de cet album, c’est entre les pains de sucre de la baie d’Halong que mon navire de guerre semble s’avancer… » L’effet miroir a servi de déclencheur : d’îles irréelles en marchés couverts, Mattotti décrit plusieurs de ses sujets sous toutes leurs facettes. Pour donner à son ensemble la richesse d’un catalogue, et aussi pour rythmer son livre : bonsaïs de temple, silhouettes de rue, détails d’une briquetterie offrent au fil de ces pages intenses des haltes visuelles.

Lui que l’Asie fascine – il a aimé la nature prodigue de Bali, et su traduire en images la spiritualité du Cambodge – en quoi le Vietnam l’a-t-il touché ? « C’est un pays d’énergie positive, de speed, de travail. Depuis longtemps, je voulais voir comment il avait réchappé de son histoire. Bien sûr, il comporte beaucoup de zones sombres mais ce qui m’a frappé, ce sont ces gens luttant pour conquérir un niveau de vie simplement digne : leur ambition d’acheter un lave-linge et celle de s’offrir une berline de luxe ne se comparent pas. » Et il parle de ces jeunes familles que transportent paisiblement, sur le Mékong, les lourdes barges dont la proue s’orne de deux yeux peints réputés écarter le mauvais sort. Il les a abondamment dessinées. Ce sont les silhouettes massives de ces bateaux de travail qui concluent l’ouvrage – comme leurs frères italiens concluaient, sur la lagune, son livre consacré à Venise.

« Dessiner une nation, ce n’est pas dessiner une ville, » remarque Mattotti. Au delà des éléments en harmonie naturelle avec son univers, il a témoigné. De ces hautes maisons à façades pastel, avec leurs colonnes et frontons faussement palladiens que les nouveaux riches font pousser partout dans le pays : « leurs flancs aveugles montrent qu’elles sont prêtes à accueillir des voisines, pour former une rue. Certaines se dressent en pleine campagne, comme des cathédrales bizarres. » Ou de ces trains passant en pleine ville, faisant déguerpir à coup de sirène le petit peuple qui vit sur leur voie. Et surtout, de ces marchés couverts grouillant d’activité. « Cette débauche de commerce, je l’avais vue du Brésil à Hong-Kong. Elle ne m’avait jamais inspiré. » Au Vietnam, le sujet a emporté l’artiste : ses femmes lovées à l’heure chaude sur leurs rouleaux d’étoffes comptent parmi les pages les plus fortes de l’ouvrage. « Je me suis rendu compte, alors, que ces images étaient en continuité avec celles de ma série La chambre. L’amour y est remplacé par le travail, c’est tout. Ensuite, j’ai inventé – par pur plaisir. L’une de ces vendeuses de tissu n’existe pas. » Mattotti compte en peindre d’autres, inédites. Elles figureront parmi les originaux de l’exposition de la Galerie Martel. Pour le plaisir, toujours.

Noir et blanc. Couleur. Pastel. Crayon. Encre. Papier classique ou népalais. Au fil de ces quelques cent vingt œuvres – dont beaucoup sur double page – les techniques se mêlent. « J’ai même employé la mine bleue des crayonnés… Je ne voulais pas composer un livre uniforme, mais arriver à un mélange qui refléterait le pays. Et puis, peindre tout un marché en couleur peut avoir trois issues : vous rendre fou, vous plonger dans l’abstraction ou vous forcer à jouer au peintre en quête de chef-d’œuvre. Le noir et blanc ne décrit pas, mais fait voir ce que telle scène a représenté pour moi. Il pousse à l’essentiel. »

François Landon