LORENZO MATTOTTI
La Fameuse invasion des ours en Sicile
Exposition du 13 décembre 2019 au 18 janvier 2020
Six ans durant, des dessins particuliers de Lorenzo Mattotti ont rythmé un labeur passionné : la construction de La fameuse invasion des ours en Sicile, long-métrage d’animation conçu et réalisé par l’artiste au sein du studio d’animation 3.0 studio. Pour Mattotti et les tenants de l’aventure, ces « dessins ouverts », comme leur créateur les nomme, ont eu valeur d’instruments. Ils ont concrétisé sa vision. Donné corps à son imagination. Mis en phase les sensibilités de l’équipe. Aujourd’hui, ce travail au long cours a donné naissance à quatre-vingt cinq minutes de pur émerveillement. Et ces « dessins ouverts » peuvent redevenir ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : les œuvres d’un artiste comptant parmi les plus originaux et les plus exigeants du temps.
À partir du 13 décembre, la Galerie Martel aura le plaisir de vous présenter ces dessins exceptionnels. Mattotti est un soliste. Tête et main en prise directe. Pas d’assistant pour broyer ses couleurs. Pas de second pour brosser ses arrière-plans. En 2013, solidement épaulé par la maison de production Prima Linea, il se lance dans l’adaptation animée de La fameuse invasion de la Sicile par les ours, conte écrit et illustré par Dino Buzzati. L’artiste se retrouve alors au centre d’une formation aussi ample et diverse qu’un orchestre symphonique. À Mattotti d’insuffler aux équipes du film sa vision artistique. À lui d’aiguiller chaque collaborateur sans brider sa liberté créatrice ni son sens de l’initiative. Pour donner ce la essentiel et complexe, Mattotti recourt à ce qu’il nomme ses « dessins ouverts ». Ils forment l’essentiel de la présente exposition.
La Fameuse Invasion des Ours en Sicile — 2013-2019
1 – 42 x 23 cm
2 – 42 x 25 cm
3 – 36 x 21 cm
crayon et pastel sur papier
« Je ne parle pas de ‘dessins ouverts’ comme Umberto Eco a parlé de ‘L’œuvre ouverte’ !, sourit l’artiste. Plus modestement, ce sont des outils de travail. Des dessins volontairement inachevés, existant pour inspirer. Ils laissent une place à l’interprétation – mais une place déterminée. Ils sont précis dans leur structure, leurs lignes de force, leur composition. J’y ai retrouvé la rigueur que j’avais recherchée voici dix ans, dans mon travail sur Venise. Bien sûr, ils se gardent de trop montrer : une forêt se limitera à quelques arbres, charge aux décorateurs de planter les autres. En bref », conclut Mattotti, ils sont là pour faire comprendre – et pour m’aider moi-même à comprendre. »
Portraits, décors, scènes d’action, ces dessins-là sont chargés d’une énergie brute, surprenante, séduisante. Des motifs chers à l’artiste les émaillent, pins parasols toscans structurés comme des coupes cérébrales, palais presque vénitiens, tourbillons de branches hostiles montés tout droit de Hansel et Gretel. « Ils ne sont jamais terminés, insiste encore Mattotti. La vraie image finale, c’est celle du film. » Sans doute. Mais leur qualité en fait des œuvres à part entière. Que dire de ce fabuleux dragon marin qui menace en panoramique la ville escarpée du Grand-duc ? On le croirait dessiné après coup : c’est tout le contraire. Ces « dessins ouverts » expriment d’autres choix de Mattotti. La couleur : qu’il ait voulu échapper au gris et « donner des teintes chaleureuses » à son monde va de soi.
Qu’il se soit gardé de toute « uniformisation de l’imaginaire personnel », tombe aussi sous le sens : exclus de sa table à dessin, les standards des productions animées internationales, les princesses trop élancées aux yeux XXL. Comme toujours, son travail se nourrira de ce qu’il est, de ce qu’il fait – à ceci près qu’il s’agit ici de traduire en images mobiles, et sans le trahir, l’univers d’un autre créateur. Dino Buzzati est d’abord un écrivain majeur – Le désert des Tartares, Un amour, Le K – mais il s’est frotté de près au dessin, à la peinture, même à la bande dessinée avec l’extraordinaire Poème-Bulles. Son conte pour enfants n’échappe pas à la règle. Le premier talent de Mattotti, c’est d’avoir choisi pour matrice l’œuvre d’un créateur qui lui ressemble, dans son imaginaire et sa représentation. Un auteur dont il s’est nourri depuis son adolescence.
Exemple de cette fraternité ? Durant l’élaboration du film, tombant un jour sur un dessin de Buzzati figurant le K2, sommet himalayen vaincu en 1954 par une cordée italienne, Mattotti s’écria : « Mais ! Il peint ses montagnes comme je peins les miennes ! » C’est-à-dire avec des courbes douces, quand le trait de Buzzati est souvent anguleux. Et Mattotti, raconte un témoin, s’empressa de photographier le travail. « Pour moi, les dessins de Buzzati ont été un socle, pas un carcan, insiste l’artiste. Sa manière est plus naïve que la mienne. J’ai relevé les moindres de ses détails pour les développer de façon spectaculaire, ses arbres verticaux, ses nuages coupant les montagnes, les silhouettes de ses personnages, le profil de sa ville, ses plantes imaginaires dans le jardin des rhizopodes… Tout ceci m’a permis de partir dans la bonne direction, et de garder le cap. Lui, je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai toujours pensé que nous partagions le même esprit. »
François Landon