THOMAS OTT

La Forêt

Exposition du 15 janvier au 21 février 2021
vernissage le jeudi 14 janvier de 15h à 20h
séance de dédicace le samedi 16 janvier à partir de 15h

Il est le maître des angoisses, des mélancolies et des étrangetés. En blanc et noir, de la pointe d’un cutter, il leur donne vie sur ses cartes à gratter. Pour sa troisième exposition à la Galerie Martel, Thomas Ott offre une nouvelle dimension à son univers intense et habité. Après le fantastique sombre de sa première période, après la poésie magistrale de sa Route 66 (Louis Vuitton Travel Books), l’artiste zurichois joue de la symbolique, de l’introspection – voire de l’autobiographie cryptée.

En 25 tableaux saisissants, sans recourir au moindre texte, son album La Forêt (Éditions Martin de Halleux) fait vibrer sur le mode fantastique l’enfance, l’attachement, le deuil. Ce sont donc 25 originaux, expressifs comme une suite d’enluminures, que la Galerie Martel vous propose d’admirer à partir du 15 janvier. Les accompagnera une sélection d’œuvres de l’artiste sur le thème de la forêt. Une maison en deuil. Autour des couronnes de fleurs et du classique buffet, pleurs et chuchotement des adultes. Un petit garçon ému s’échappe du cercle, sort, et se réfugie dans la forêt. La forêt, là où l’on est seul avec soi-même. Là d’où tout peut surgir. Et la forêt va réserver au garçon une suite de rencontres initiatiques, oniriques, fantastiques. La dernière lui rendra la paix, et l’aidera à saisir le caractère illusoire de la mort.

Comme toujours chez Ott, le pitch est simple et net, mais tranche pourtant avec ses travaux précédents : « Cette histoire-là est plus subtile, et même porteuse d’espoir, note l’artiste. Elle dépasse l’anecdote. En général, mes récits se développent d’eux-mêmes. Ici, j’étais tenu à la rigueur. » En effet. La Forêt inaugure une collection lancée par l’éditeur Martin de Halleux et délibérément placée sous le signe de la contrainte : un récit en 25 images noir et blanc, une unique image par page, et une absence totale de texte. Point. La source du projet est un ouvrage-phare du graveur sur bois Frans Masereel, 25 images de la passion d’un homme (1918). Un prototype du roman graphique moderne, répondant trait pour trait à ce cahier des charges, et que Martin de Halleux a récemment republié – avec une préface de Thomas Ott.

Creuser à la gouge le bois d’un support, gratter au cutter la pellicule noire d’une carte, sont deux techniques-sœurs, exigeantes et laissant peu de place à l’erreur. Quant à la brièveté délibérée du format, elle élimine d’office les images de transition : « Toute page doit être parfaite, remarque l’éditeur. À tout le moins, aussi forte que la précédente. » Qu’il s’agisse de narration, d’art ou de technique, chacun des 25 originaux de Thomas Ott remplit parfaitement ce contrat. Remarquables, la finesse des traits aux orientations multiples, la subtilité des nuances et du modelé – d’autant que le format de ces originaux est inférieur de 11% à celui du livre, qui lui-même n’atteint pas celui de la feuille A4 : « Avec la carte à gratter, un grand format incite à rajouter des détails, explique Thomas Ott. Un petit format, lui, pousse vers l’essentiel et l’expressivité.»

Et pourtant, pour qui lira comme elles le méritent les images composant La Forêt, les détails ne manqueront pas. Racines-serpents, yeux de timides esprits des arbres, trogne d’un diable digne de Dürer embusquée dans un à-plat, autant d’« histoires dans l’histoire ». Autant de portes ouvrant sur d’autres narrations. Le procédé est-il renouvelé de Masereel ? Pas forcément. À propos de ces petits mirages, de ces trompe-l’œil dissimulés, Ott invoque simplement l’inadvertance. Le hasard. Car sa forêt enchantée n’appartient qu’à lui. Celle de son livre, il la traversait déjà, tout petit, pour se rendre à la maternelle. La maison zurichoise de ses parents était plantée à sa lisière. Il en connaît depuis toujours le jeu des ombres et des lumières. Il y a cherché des trésors, des crânes, il a dégringolé des falaises pour cueillir des trophées qui se sont avérés des bouts de papier blanc.

Voici cinq ans, il y est retourné en famille, avec ses enfants, accumulant les croquis et les photos. Pour le reste… Le père de Thomas Ott a disparu en 2014. Depuis, dit-il, « J’ai un autre regard sur la mort. Je sens que quelque chose persiste. Dans La Forêt, le garçon et l’homme sont la même personne. Moi, je passe ma vie en gamin. Je chasse des monstres. Je prends des risques. Pourtant, je suis devenu un vieil homme. »

Dans une première version de la séquence finale, le garçon posait sur les yeux du mort deux coquilles d’escargot – deux trésors enlevés à la forêt, deux formes spiralées exprimant la renaissance. « J’ai montré le dessin à ma mère, qui n’a pas compris, dit Ott. Elle a juste trouvé que le personnage avait des yeux bizarres. » Alors, la mère de l’artiste a suggéré que le garçon place entre les mains du mort un rameau de sapin – ce rameau que le chasseur glisse rituellement entre les mâchoires du cerf abattu, et qui est symbole de vie éternelle dans les forêts germaniques.

François Landon