YANN KEBBI

 C’mon C’mon

Exposition du 16 septembre au 15 octobre 2022
Vernissage en présence de l’artiste le jeudi 15 septembre à partir de 18h30
Séance de dédicace le samedi 17 septembre à partir de 15h

Un cinéaste américain – Mike Mills – sollicite un artiste français – Yann Kebbi – pour dessiner le tournage et le contexte de son film, C’mon C’mon. L’artiste a carte blanche : il lui suffira d’être lui-même, point. Au fil des villes et des séquences, Kebbi va saisir ces ambiances américaines qu’il aime et sait rendre de façon magique, mais dans un contexte dont il ignore tout, la fabrication d’un film. Fouetté par la situation, sans se départir de son style acéré, il accumule en trois semaines plus de 300 dessins. Une centaine a été réunie dans un ouvrage, C’mon C’mon – Drawings from the Set, mais la Galerie Martel va en présenter à partir du 15 septembre une plus vaste sélection, puisée dans la totalité de ce travail. Voici la genèse d’une oeuvre sur le motif. 

Johnny (Joaquin Phoenix), est journaliste radio. Il court les USA pour interviewer des enfants. Il est éloigné de sa soeur Viv (Gaby Hoffmann) depuis la mort de leur mère. Mais lorsque Viv doit s’absenter précipitamment, Johnny propose de veiller sur Jesse (Woody Norman), son fils de neuf ans. Au long d’un périple qui les mènera de New York à la Nouvelle Orléans, l’oncle et le neveu forgeront un lien fort. Tel est le pitch de C’mon C’mon (Nos âmes d’enfants), écrit et réalisé par Mike Mills. Une oeuvre sensible, une espèce d’Alice dans les villes de Wim Wenders en version vingt-et-unième siècle. Pour Yann Kebbi, le tournage de ce film a été l’occasion de réaliser une série de dessins sur le motif où la justesse et le style se fondent parfaitement.

Comment les chemins du cinéaste américain et de l’artiste français se sont-ils croisés ? « Mike avait découvert mon travail sur le Web», explique Yann Kebbi. « Son idée primitive était de demander à un artiste une douzaine de dessins qui scanderaient les chapitres de son film – comme les cartons au temps du muet. » De mail en mail la relation professionnelle se met en place (« Mike voulait savoir comment je travaillais, quand moi je me demandais s’il examinerait mes dessins au jour le jour ») puis Yann débarque à L.A. un dimanche soir de novembre 2019. Le lundi matin à sept heures, il est sur le plateau – et attaque son travail.

« Mike a été surpris par ma cadence, note Yann. En vingt jours sur le tournage, j’ai dû réaliser 360 dessins ! » Certes, la capacité de production de l’artiste est connue, mais il y a d’autres raisons à cette déferlante : « J’ai découvert que dans le cinéma, tout va très vite. Une scène peut se boucler en une quinzaine de secondes. Alors, je ne devais rien laisser passer. Et puis, je travaille généralement seul. Là, je dessinais au milieu d’une équipe – jusqu’à cinquante personnes dont chacune avait sa fonction précise. Moi, l’élément extérieur, l’agent libre, je devais y faire mon trou. M’incruster, me glisser parfois derrière la caméra, quand beaucoup se demandaient ce que je fabriquais là. Un jour, dans une petite salle de lycée où Joaquin interviewait un gosse, le perchman m’a même demandé de me calmer : le crissement de ma plume perturbait la prise de son… »

Une source de stress ? Oui, mais qui amène l’artiste à se dépasser. Car ce rythme de travail augmente, s’il était possible, son caractère pointu. Voyez ce profil de Joaquin Phoenix, casque sur les oreilles : c’est bien lui, et comme vous ne l’avez jamais vu. « J’effectuais un travail de commande que je pouvais paramétrer en toute liberté. C’était idéal. Je me suis épuisé à la tâche. Les jours de pause, pour me détendre, je partais dessiner des immeubles, des scènes de rue, le contexte du tournage. » Faut-il rappeler que ces États-Unis-là sont une source d’inspiration majeure pour Yann Kebbi, de Howdy à Americanin en passant par Persons of Interest, livre sorti dans la foulée de son C’mon C’mon ?

Entre temps, Mike Mills avait renoncé à l’idée de rythmer son film par une douzaine de dessins. « Mais il a dit que mon travail pourrait déboucher sur une animation, ou un livre », raconte Kebbi. La deuxième hypothèse s’est concrétisée : A24, la puissante société de distribution du film, a édité C’mon C’mon – Drawings from the Set. L’ouvrage réunit une centaine de dessins, et Yann Kebbi le considère comme « un vrai cadeau ». C’est exact, tant pour l’auteur que pour les lecteurs. Mais le cadeau n’aurait pas existé sans l’harmonie profonde de l’artiste et du réalisateur.

Est-ce un hasard ? Mike Mills n’a jamais fréquenté d’école de cinéma : il a suivi des études d’art plastique. Dans sa préface au livre, il note à propos de son film : « It’s a drawing, not a painting… » Yann Kebbi commente : « La phrase me paraît parfaitement respectueuse du travail du dessin – moins esthétisant, plus instantané, donc plus vrai que la peinture. C’est ce que Mike cherchait. » Yann Kebbi sait aussi ce que Mike Mills ne cherchait pas : un photographe de plateau ayant troqué son boîtier contre un carnet.
« J’insiste sur ce point, reprend le dessinateur. L’idée était d’inviter un artiste à explorer un autre regard que celui de la caméra, tant sur les scènes filmées que sur leur environnement, en lui donnant totalement carte blanche. Pas de lui demander un reportage. S’il y a ici une tonalité documentaire, elle découle du nombre de mes dessins. »

François Landon