DANIEL CLOWES

Lauréat 2024 du Fauve d’or du meilleur album au Festival d’Angoulême
pour son œuvre Monica
 

Exposition du 24 janvier au 24 février 2024

« Je ne sais pas comment, mais je me suis retrouvée de l’autre côté de la rue. J’étais complètement perdue. Terrifiée, comme coincée dans un rêve horrible. » Dans l’un des neuf chapitres de son dernier livre, l’impressionnant Monica, Daniel Clowes évoque le premier souvenir de la protagoniste principale, et glisse comme si de rien n’était un indice sur la manière dont le lecteur pourrait percevoir ce travail : dans une case marquante, Monica, encore enfant, est de dos, à un croisement de rue. Les voitures roulent, des détritus jonchent le sol, des passants errent : ce monde est vaste, complexe, et il sera compliqué de s’y retrouver sans être accompagnée.

C’est une simple case, mais elle pourrait synthétiser tout ou partie de l’oeuvre de l’auteur : à quoi bon avancer si personne n’est là pour nous orienter ? A qui devrait échoir ce rôle ? Et quelle sorte de guide deviendrons-nous, à notre tour.

La longue bibliographie de Daniel Clowes, que l’on peut décemment considérer comme étant l’une des plus importantes oeuvres de bande dessinée de notre époque, a débuté au mitan des années 80, au coeur du giron underground nord-américain, dans les traces encore fraiches des frères Hernandez ou de Peter Bagge. Il était alors question, pour bon nombre d’auteurs et d’autrices, de s’emparer du langage de la bande dessinée (et de ses promesses) et de l’extirper de la mélasse mainstream dans laquelle elle semblait engluée, sans tambour ni trompette mais avec abnégation et dévotion.

1 – Monica, preliminary large back cover sketch
encre et graphite sur papier

46 x 59 cm

2 – Monica, color back cover sketch, 2023
crayon de couleur, graphite et encre sur papier
28 x 35,5 cm

3 – Patience, cover sketch, 2016
crayon de couleur, graphite et encre sur papier
29,5 x 37 cm

Les comics de masse avaient pourtant accompagné et porté le jeune Daniel comme tant d’autres avant lui : il suffit d’observer son dessin pour comprendre la forte impression qu’auront laissé chez lui les récits de guerre ou d’horreur de chez EC Comics, ou les diverses audaces du magazine Mad, pour ne citer que deux exemples de ce que la culture populaire américaine aura pu produire de plus marquant côté bande dessinée. Mais déjà, son oeil s’arrête également sur les suiveurs, les copistes industriels, les ersatz : « leurs histoires étaient souvent illisibles, mais individuellement, certaines cases isolées me faisaient l’effet d’un grand tableau énigmatique.« .

Des années plus tard, l’impression reste vivace : des cases de Monica aux couvertures du New-Yorker, des illustrations pour la collection Criterion aux portraits pour Newsweek, Vogue, The Village Voice ou GQ, etc), chaque dessin signé Clowes est reconnaissable entre mille, alors même qu’il porte en lui une généalogie graphique évidente.

Après quelques publications où l’auteur sème les intentions (ventilées via la parodie, l’hommage ou l’invention originale) et attire déjà une solide fanbase de lecteurs avertis, c’est la série EightBall qui rencontre vite son public : dans cette anthologie et durant quinze ans, Clowes expérimentera et signera quelques chapitres majeurs de plusieurs de ses livres, notamment Ghost World qu’il adaptera lui-même pour le cinéma en 2001 avec le réalisateur Terry Zwigoff. Le succès est considérable et installe l’auteur comme le scrutateur d’une époque complexe, faite de malaises, de vides et de non-dits. Douglas Coupland avait contribué à décrire la Génération X, Clowes lui donne des traits, et progressivement, prouve au passage qu’il n’est pas qu’un nostalgique des couleurs criardes des récits d’horreur des années 50.

Auteur d’un travail fragmentaire où se conjuguent étrangeté parfois grotesque, ambiance malaisante et regard critique inspiré sur le délabrement de la société nord-américaine, ses sujets de prédiction apparaissent comme autant d’obsessions. Laissant s’échapper quelques parts de lui-même dans le processus, le rapport à la filiation ou à l’enfance font leur chemin jusqu’aux récits qu’il publie régulièrement, portant en filigrane un peu plus de leur auteur : l’autobiographie n’a jamais été frontale chez Clowes, mais infuse l’ensemble de son oeuvre.

Monica repose sur une faille que le personnage partage avec son créateur ; laissé à ses grand-parents par sa mère alors qu’il avait cinq ans, il y est question de figure paternelle manquante, de démission maternelle, de vide existentiel, de quête de soi : « les rythmes de la vie de Monica, en quelque sorte le rythme de son enfance et de son âge adulte, s’alignent de manière algébriquement exacte avec ceux de ma vie. »

Rétrospectivement, ce vide crucial a toujours été là, dans chaque histoire, chaque livre. Ces manquements séminaux ont de solides conséquences : le mirage délavé du rêve américain, son ultra-individualisme, ses laissés pour compte, ses dérives sectaires ou ultra-patriotiques… La manière dont chaque personnage semble forcément à la recherche de quelque chose (d’un.e partenaire, d’un parent, d’un sens à sa vie…) donne l’impression d’avoir été une gigantesque répétition pour l’auteur, qui sans jamais abandonner la causticité, la satire ou l’ironie, creuse désormais également vers le chagrin ou l’empathie.

Chez Clowes, ce vide est formulé scénaristiquement, puis comblé formellement : le découpage, la composition de chacune de ses pages, de ses cases ; la minutie apporté au moindre trait ; la multiplicité des styles d’encrage, adaptés à dessein ; les recherches typographiques pour chaque moindre titraille ; le travail chromatique et ses nombreuses palettes spécifiques à chaque projet (voire à chaque chapitre)…

La collecte fragmentaire touche à son but, la linéarité devient plus évidente sous le copieux mille-feuille narratif. La réinvention permanente de son rapport à la bande dessinée, sa profonde exigence achèvent de conférer à Daniel Clowes son statut d’auteur parmi les plus précieux qui soient.

Julien June Misserey, décembre 2023

Bibliographie sélective :
« The Complete Eightball » (Fantagraphics, 2015)
« Ghost World » (Fantagraphics, 1997 ; Vertige Graphic, 1999 ; Delcourt, 2023)
« Comme un gant de velours pris dans la fonte » (Fantagraphics, 1993 ; Cornélius, 1999 ; 2023, Delcourt)
« David Boring » (Pantheon Books, 2000 ; Cornélius, 2002)
« Patience » (Fantagraphics, 2016 ; Cornélius, 2016)
« Monica » (Fantagraphics, 2023 ; Delcourt, 2023)

Filmographie :
« Ghost World » de Terry Zwigoff (Advanced Medien/Granada Film/Jersey Shore/Mr. Mudd/United
Artists/MGM Distribution Co, 2001)
« Art School Confidential » de Terry Zwigoff (United Artists/Mr. Mudd/Sony Pictures Classics, 2006)
« Wilson » de Craig Johnson (Ad Hominem Enterprises/Fox Searchlight Pictures, 2017)

COMMUNIQUÉ DE PRESSE (PDF)

>Liste des oeuvres<

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REVUE DE PRESSE

LAURÉAT 2024 DU FAUVE D’OR DU MEILLEUR ALBUM AU FESTIVAL D’ANGOULÊME

Le Monde — 27 janvier 2024 : « En s’adonnant à un savoureux mélange des genres, qui voit le récit naviguer de la romance à l’horreur en passant par le livre de guerre, l’auteur dessine une autre histoire de l’Amérique contemporaine. »

France Inter — 27 janvier 2024 : « Un ouvrage ultra-maîtrisé (…) Il s’agit du livre le plus personnel de l’auteur dont chaque partie est traitée selon un mode graphique et narratif différent. »

Le Figaro — 27 janvier 2024 : « Comme souvent, l’auteur y mélange humour décalé et drame intime, le tout baigné dans une atmosphère étrange et déroutante. »

Ouest-France — 27 janvier 2024 : « Daniel Clowes semble s’amuser à montrer qu’il est capable de tout faire. Et ce n’est pas pour frimer, c’est juste qu’il est extraordinairement doué. »

L’Obs (Interview) — 27 janvier 2024 : « Monica » de Daniel Clowes, Fauve d’or 2024 : « Je dessine des BD pour lutter contre le chaos »

Charente Libre — 28 janvier 2024 : Pourquoi le Fauve D’or attribué à Daniel Clowes est amplement mérité

France

Actualitté — 27 octobre 2023 : Le grand retour de Daniel Clowes : Monica, composer avec son enfance 

15 novembre 2023 : Clowes explore les années 60 à travers les yeux de Monica

Libération — 28 octobre 2023 : Avec « Monica », Daniel Clowes à l’âge méandres

Les Inrockuptibles — 2 novembre 2023 : « Monica » de Daniel Clowes : entre l’horreur et la romance, un grand roman graphique

France Culture (Podcast) — 23 novembre 2023 : Daniel Clowes, maître du comics indé américain, signe son grand retour !

L’Obs — 4 décembre 2023 : « Monica », par Daniel Clowes : BD kaléïdoscopique

Télérama — 13 décembre 2023 : « Monica » ou la fascinante étrangeté de Daniel Clowes

 

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International

The New Yorker — 28 août 2023 : Monica: A Guided Tour Through Daniel Clowes’s Mind and Library

The New York Times — 2 octobre 2023 : Daniel Clowes Dreams of The Apocalypse

The Guardian — 4 octobre 2023 : Monica by Daniel Clowes review – a thrilling kaleidoscopic journey
9 octobre 2023 : Monica by Daniel Clowes review – pitch-perfect portraits of an ever scarier US

NPR — 12 octobre 2023 : Graphic novelist Daniel Clowes makes his otherworldly return in « Monica »

The Washington Post — 16 octobre 2023 : Daniel Clowes sheds cynicism and embraces maturity

The Comics Journal — 30 octobre 2023 : « This book is about my hatred of chaos »: Daniel Clowes on Monica