ZÉPHIR

Rondes de Nuit

Exposition du 17 novembre au 9 décembre 2023

Au bord d’une mangrove, à travers une canopée, sous un ciel en colère apparaissent plusieurs silhouettes fantomatiques. Comme un ballet d’un autre monde possiblement post-civilisationnel, la ronde hypnotique est lancée. Sans que l’on sache si elle est l’origine ou la ponctuation du cataclysme qui frappe, et sans que l’on ne sache d’ailleurs si celui-ci incarne davantage un début qu’une fin, la procession commence, et les derviches, sans un mot, débutent leur curieuse danse.

Zéphir (son deuxième prénom) est né en 1992. Fraîchement diplômé de l’école Estienne, il participe à diverses revues et collectifs avant de signer à 21 ans un premier livre déjà éminemment personnel. Dans Le Grand Combat, il distille dès lors quelques notions déjà essentielles pour lui : questionnement sur la place qu’il nous faut trouver en ce monde, sur les choses qu’il nous faudrait accepter, celles qu’il faut combattre. Le livre fait preuve d’une sensibilité rare, laisse le regard trouver son propre rythme. Dans le même temps, il affiche une sorte d’incapacité à se contenter d’un mode d’écriture plastique unique et donne le tournis, déployant une appétence folle pour les expériences quant au signe, au trait, à la matière.

 

Rondes de Nuit – 2023

Gouaches, encres, pastels sur carton plume
43,5 x 31 cm

 

Bien plus tard, on comprendra qu’il ne s’agissait guère d’un choix : « J’alterne entre la ligne et la matière. Je me cherche en tant que dessinateur entre ces deux pôles. J’aimerais avoir l’évidence d’une révélation pour ”mon” outil. » A l’instar de quelques-uns des artistes l’ayant marqué au fil du temps, Zéphir donne l’impression de prendre à rebrousse-poil tout ce qui ressemble à un chantier trop balisé. Plus précisément : tout n’est pas forcément pré-établi lorsqu’il se lance dans le travail, et la curiosité et l’aperception semblent faire figure de boussole principale : le spontané, l’instinct, l’accident sont au cœur de son protocole créatif : « Je me lance sur la page avec une intuition plus qu’une vision définie, presque instantanément trahie par ce qui surgit. Je poursuis au risque de ruiner l’équilibre laborieusement obtenu et, quasi systématiquement, je le ruine. J’espère un jour ne plus avoir à commencer par rater un dessin pour pouvoir m’y lancer librement ensuite. »

En 2016 paraît L’Esprit rouge dont il est co-auteur, signant le dessin. Consacré au fameux voyage d’Antonin Artaud au Mexique en 1936, il fallait un univers graphique fort singulier pour accompagner la restitution d’une expérience intérieure et artistique qui ne l’était pas moins. Là encore, le livre convoque tout un champ des possibles afin de répondre au spectre des ressentis sensoriels et émotionnels qu’un tel projet nécessitait. Et Zéphir traverse l’Atlantique à son tour. Les motivations, vu de l’extérieur, pourraient être nombreuses : désir de découverte, volonté d’aller tracer de nouveaux traits d’union avec ses prochains, proximité vis à vis de certaines alternatives politiques… Du Brésil au Mexique et à travers dix pays, y avait-il l’idée de se rapprocher de cette sorte d’intouchable absolu que décrivait Artaud ? Pour ”voir ce que peut signifier : faire société” ?

Toujours est-il qu’après un périple de plus de deux ans, cette conséquente expérience du réel va stimuler le vaste chantier introspectif qu’est La Mécanique des vides, qui prendra le temps qu’il fallait pour devenir un livre (paru l’an passé). Zéphir enfonce ici le clou d’une exploration visuelle hors normes, la conjuguant à une solide expérience de son rapport au mot, au verbe. Car mettre sur l’auteur la seule étiquette d’aventureux plasticien seulement serait un manquement, tant les mots et leur usage apparaissent essentiels dans son travail. Pour en attester, citons un moment précis : alors qu’il passait la nuit dans un désert du Mexique le soir de Noël, le silence le confronte à lui-même : « J’aimerais bien réussir un jour à le dessiner, ce silence… Après deux années de voyage, j’ai su grâce à lui qu’il était temps de rentrer chez moi. »

Lorsque le silence dicte la fin du voyage, que le verbe prend autant de sens, l’on comprend à quel point l’artiste est avant tout, surtout, un conteur d’histoires. La Mécanique des vides, c’est notamment le signe-dessin qui sublime l’importance du signe-mot. Et à peine un an plus tard, une nouvelle conjugaison des deux s’incarne dans Rondes de nuit. Les gouaches sur carton plume exposées (accompagnées de pastels à la cire, de marqueurs peinture à base d’eau, de crayons de couleurs) de format A3+ creusent l’écart avec les précédents travaux dans leur radicalité ; mais cette fois le narratif s’invite par la bande, de manière bien plus sous-jacente.

On imagine l’auteur élaborant une flore inédite, soignant le rythme de sa mise en scène, peaufinant sa chromie psychédélique, édifiant des ruines sur lesquelles l’on pourra projeter toutes nos interrogations quant à ces curieux rituels chorégraphiés. Mais voilà, de contrôle sur le récit, notre apprenti démiurge donne l’impression de n’en avoir que très peu : « Je n’ai aucune prise sur ce qui sort au bout ». Oscillant entre urgence de l’expression, de la transmission, et acceptation d’un repentir, Zéphir relativise le degré de responsabilité quant à la recherche (sans fin) présidant à son travail. Voir son œuvre prendre forme, se chercher, s’affranchir, se trouver n’est certainement pas la dernière de ses nombreuses qualités. Dansant sous le feu des cieux, tirant inlassablement sur des cordes nous renvoyant à l’impuissance, les toupies marquent durablement nos rétines et n’en finissent plus de tourner. À en perdre la tête.

Julien June Misserey

 

Bibliographie

Rondes de Nuit, 2023, Fidèle.
La Mécanique des vides, 2022, Futuropolis.
L’Esprit rouge – Antonin Artaud, un voyage mexicain, avec Maximilien Le Roy, 2016, Futuropolis.
Le Grand Combat, 2014, Futuropolis.
Revue Ballast, 2014-2021.

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